Le réalisateur de Baby Driver livre un spectacle imparfait mais musclé et engagé, où Glen Powell tente de reprendre le flambeau des icônes du cinéma d’action.
Dix ans après avoir quitté Ant-Man, trois mois avant le début du tournage, Edgar Wright a finalement replongé dans la machine hollywoodienne. Celle des films à gros budget, des IP sous contrôle des exécutifs en costume-cravate, où les auteurs arrivent rarement à faire entendre leur voix. Est-il ressorti gagnant de son pacte avec le diable ?
Tout est parti d’un échange sur Twitter, en 2017, où un fan demande à Wright quel film il aimerait remaker. "The Running Man", répond aussi sec le réalisateur de la trilogie Cornetto. Quatre ans plus tard, le producteur Simon Kimberg lui envoie un mail pour lui demander s'il est vrai qu’il veut faire le film. Et le voilà embarquer dans un blockbuster à 110 millions de dollars.
Contrairement au Marvel Cinematic Universe, où chaque long-métrage n’est jamais que le nouvel épisode d’une série diffusée au cinéma pilotée par le showrunner Kevin Feige, ce projet avait pour le cinéaste bien des avantages.
Running Man n’est ni une saga, ni une franchise. Et certainement pas un monument du cinéma indépassable. On parle d’un petit film culte des années 1980, réalisé par Paul Michael Glaser (oui, le Dave Starsky de la série Starsky & Hutch), où Arnold Schwarzenegger participe à un jeu télévisée macabre dans un futur dystopique où les Etats-Unis sont devenus une dictature totalitaire. Donc plus vraiment de la SF vu de 2025.
Cette intrigue lui a valu d’être condamné pour avoir plagié Le Prix du danger, après une procédure longue de 11 ans menée par le réalisateur français Yves Boisset. Raison pour laquelle le Running Man de 1987 n’est pas diffusée à la télévision française et demeure toujours introuvable en streaming légal dans nos contrées.
Ce film un peu oublié était donc un terrain de jeu idéal pour un cinéaste débridé qui ne demandait qu’à s’amuser avec un beau joujou. Et on sent bien que le réalisateur de Last Night in Soho, trip sombre et complexe questionnant la culture de la nostalgie des sixties, qui s'est malheureusement crashé au box-office, avait envie de s’éclater comme un petit fou. Mais sans se compromettre totalement.
Le Ben Richards d’Edgar Wright est incarné par Glen Powell, lui-même un remake des grands actioners d’Hollywood, dont son modèle et mentor de Top Gun : Maverick, Tom Cruise. Ouvrier opprimé par le système à cause de sa grande gueule, il se retrouve sans emploi alors qu’il doit payer les frais médicaux de sa fille malade. Quelle solution lui reste-il ? Jouer sa vie au Running Man pour tenter de remporter un milliard de dollars, pardi !
Bardé de muscles, mais pas autant que Schwarzy, il se décline en version héros du peuple qui, malgré les mensonges de la production, parvient à gagner l’amour des téléspectateurs et des citoyens qu’il côtoie pendant sa cavale. Viscéralement en colère contre le système, ce Richards est porté par une détermination sans faille, il affronte les obstacles et les péripéties sans jamais douter ni faillir, ou presque.
Running Man peut apparaitre comme le premier film de commande d’Edgar Wright, qui aurait mis de côté ses velléités auteurisantes après avoir retenu la leçon d’Ant-Man. Il a sans doute fait deux ou trois concessions, mais sa patte est bien là. Le rythme endiablé, la musique, l’humour, les scènes d’actions folles. Oui, on est bien chez le réalisateur de Baby Driver.
Wright signe le scénario avec Michael Bacall, le co-auteur de Scott Pilgrim, et offre à Michael Cera un petit rôle, donnant lieu à une séquence de maison piégée mémorable, entre Maman j’ai raté l’avion et A la poursuite de demain. Il se fait aussi plaisir avec une vidéo YouTube complotiste, signée d’un rebelle ayant apporté son aide à Richards, rythmée par "The Revolution Will Not Be Televised" de Gil Scott Heron, récemment entendue dans Une bataille après l’autre.
Comme le Paul Thomas Anderson, le Edgar Wright joue, malgré le vacarme de son statut de blockbuster, sa petite musique révolutionnaire (bien mise en sourdine par la promo). Et sans doute plus encore, dans un contexte autrement plus compliqué que celui de Warner Bros, sans la superstar Leonardo DiCaprio pour justifier son délire.
Ce Running Man assume totalement la portée politique du roman de Stephen King (publié en 1982 sous le nom de plume de Richard Bachman), et affiche même un discours anti-corporation - dénonçant les fakes news, la concentration des pouvoirs et la manipulation de l’opinion par les grandes entreprises à travers les médias - assez osé quand on prend un peu de recul.
Running Man est une production Paramount Pictures, studio appartenant à un groupe qui a enchainé les fusions ces dernières années, et dont la partie télévision (CBS) a été accusée d’avoir censuré le Late Show de Stephen Colbert après avoir versé 16 millions de dollars à Donald Trump suite à une action judiciaire du président américain.
Comme South Park - qui a signé un nouveau deal de 1,5 milliard de dollars sur 5 ans avec Paramount+, avant de se payer à son tour la tête de sa direction et de Donald Trump - Wright ne retient pas ses coups. Le spectacle présenté à l’écran permet de faire passer le propos. Et si on a quelques réserves sur le manque d'évolution des personnages (Ben Richards est rigoureusement le même au début qu'à la fin), la cohérence du récit et son final un peu confus, comment ne pas se délecter de voir un cinéaste européen se payer la dérive totalitaire de l’Amérique capitaliste en étant rémunéré par Hollywood, comme au bon vieux temps du RoboCop de Paul Verhoeven ?
Brouillon, bordélique, parfois cacophonique, mais toujours sincère et généreux, le Running Man version 2025 est l’antithèse du récent Tron : Legacy. Un vrai film de réalisateur avec une âme, tout ce que le public réclame des blockbusters, et malheureusement le genre de blockbuster qui ne trouvera pas son public. En cas d’échec, Wright pourra toujours nous refaire un cornetto… ou Ant-Man 4.







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