Film après film, Daniel Craig a redéfini le personnage de Bond. Plus sombre, plus brutal, plus viril... Le héros de Ian Fleming dans toute sa splendeur ?
Dès la première scène de Casino Royale, alors qu’il inaugure son permis de tuer en noyant un pauvre type dans un lavabo, l’affaire est entendue : Daniel Craig sera ce James Bond impitoyable, violent et létal dont Pierce Brosnan rêvait sans jamais avoir réussi à l’imposer. Sous l’ère Craig, 007 fait un doigt à la tradition (« Vodka martini. » « Au shaker ou à la cuillère ? » « Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? »), revient à la noirceur des romans de Ian Fleming et emprunte à la virilité de Sean Connery. Un Bond militaire, efficace et sérieux comme un soldat peut l’être, mais sombre et psychanalytique, pétri de conflits intérieurs, « nolanisé », en somme, comme écrasé par sa propre gravité. La lente construction de l’être Bond se fait alors morceau par morceau, chaque film dépouillant un peu plus le personnage de son armure et laissant transpirer une vie intérieure dont on le pensait incapable. En creux, on nous raconte la trajectoire d’un engin de chantier (« Je ne peux pas demander à un bulldozer de comprendre ça », lui lance M avec une pointe de mépris) vers son humanisation.
L’histoire d’une arme terriblement efficace, constamment ramenée au boulot qu’elle le veuille ou non, mais qui ne rêve au fond que d’une vie de couple normale sous le soleil des tropiques. Daniel Craig le joue au premier degré, impassible, évitant de charger ses regards d’une quelconque émotion, pleinement conscient de sa gueule de gros bébé énervé et surtout de ce corps, déraisonnablement musclé et lourd comme du plomb (il faut le voir défoncer un mur en pleine course-poursuite pour éviter de faire un détour), si dense qu’il semble le clouer au sol. Quasiment agélaste au départ, il sculpte l’humain sous la carapace par petites touches (un sourire par-ci, une hésitation par-là...) et revient (tout) doucement au flegme british des origines, alors que le personnage devient de plus en plus conscient de sa condition de womanizer. La rupture se fait avec Skyfall, qui le prive en partie de son magnétisme en dévoilant son passé, et en se focalisant sur ses mommy issues. Malgré une tentative de revenir à sa brutalité initiale dans 007 Spectre, rien à faire : la machine semble moins attrayante quand on sait comment elle fonctionne. Avec son cahier des charges maous, Mourir peut attendre saura-t-il rendre sa magie au bulldozer Bond ? En attendant de le vérifier au cinéma, retour sur les greatest hits de Daniel Craig.
Son meilleur gun barrel
Casino Royale (2006)
Tout est là, ou presque : la caméra dans le canon du flingue, Bond au centre qui tire vers son adversaire... Sauf que ce gun barrel arrive juste après une première scène en noir et blanc, où 007 est de dos (pas le temps de marcher de profil comme ses prédécesseurs) et se retourne subitement pour flinguer son assaillant, qu’il pensait avoir liquidé juste avant. Le sang rouge coule sur l’écran et la couleur arrive enfin. L’idée est géniale, l’exécution parfaite. Sous l’ère Craig, on n’a jamais vu mieux.
Son meilleur « Mon nom est Bond, James Bond »
Casino Royale (2006)
Le passage obligé qu’on attend comme des gosses, même si la réplique est usée jusqu’à la corde par le temps et des milliers de parodies. Casino Royale évite pourtant la tarte à la crème : Mr. White a à peine le temps de demander qui est à l’appareil qu’il se prend un balle dans la jambe. 007 arrive tel un demi-dieu revanchard, costard impeccable et mitraillette à la main : « The name’s Bond. James Bond. » Encore en mutation, il refuse le traditionnel « JE suis Bond ». Petit sourire narquois, puis générique de fin. My God, quelle classe.
Son meilleur méchant
Raoul Silva dans Skyfall (2012)
L’antithèse du 007 de Daniel Craig. Un adversaire de taille, sophistiqué et excessif (Javier Bardem cabotine délicieusement), dont le plan alambiqué s’inscrit parfaitement dans la tradition bondienne et fait le lien avec le passé. Accessoirement, le seul méchant de la saga qui nous questionne sur la bisexualité de James Bond.
Sa meilleure Bond girl
Eva Green dans Casino Royale (2006)
Alors que Daniel Craig révolutionnait 007 en le propulsant dans le XXIe siècle, Eva Green en faisait de même avec la figure de la Bond girl. Inoubliable en Vesper Lynd, elle évite l’écueil de la femme fatale et refuse catégoriquement de servir de joli accessoire. À la fois agent double, premier amour de ce Bond nouvelle génération et moteur de l’intrigue, elle le force à se questionner sur ses priorités et à tomber l’armure (en même temps que la chemise). Sa scène de mort lacrymale réside désormais au panthéon bondien.
Sa meilleure scène d’action
007 Spectre (2015)
Pas facile. Il y a évidemment la scène fondatrice de la course-poursuite dans le chantier de Casino Royale (où Craig définit son Bond bien « bourné » à travers une physicalité absente chez Brosnan), ou bien celle de Shanghai dans Skyfall (superbement composée et la plus graphique de la saga, Roger Deakins oblige). Histoire de quand même mettre ce film dans cette liste, on choisira finalement le début de 007 Spectre, avec un Bond passant des toits de Mexico à une course-poursuite au milieu de centaines de figurants, avant une baston surréaliste dans un hélicoptère faisant des loopings. Plus James Bond que ça, tu meurs.
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