Roxane
Mars film

La littérature peut-elle sauver le monde rural ? Roxane, une comédie sociale avec Guillaume de Tonquédec et une poule, répond oui. Rencontre avec le comédien et la réalisatrice.

A l’Alpe d’Huez les actrices ont fait le déplacement pour présenter leurs nouvelles comédies. Comme on le disait, Sandrine Kiberlain est incroyable dans Mon Bébé, Chamboultout d’Eric Lavaine est un véhicule taillé sur mesure pour Alexandra Lamy, mais l’une des stars du festival était… une poule, l’héroïne de Roxane. Premier long-métrage de Mélanie Auffret, Roxane raconte l’histoire de Raymond (joué avec beaucoup de finesse par Guillaume de Tonquédec). Raymond est un agriculteur de centre Bretagne qui élève des poules pondeuses et possède un drôle de secret : la littérature lui est tombée dessus plus jeune (il aime les mots, le théâtre), mais comme il n’est pas éduqué, il en a honte et n’en parle pas à ses proches. Les seules à qui il se confie sont ses poules. Tous les matins, si elles ont bien pondu, il leur lit Cyrano de Bergerac. Lorsque son exploitation est menacée, Raymond décide de faire son coming out littéraire en réalisant des vidéos youtube avec la ferme intention de faire le buzz et sauver sa ferme.

On pourrait croire ce pitch sorti de l’esprit malade d’un scénariste farfelu, mais Mélanie Auffret s’est en réalité inspirée d’un véritable agriculteur qui, le matin lisait les textes classiques à ses vaches (« avec elles au moins, pas de jugements m’avait dit cet homme » nous confiait la cinéaste). Roxane est d’abord une fine observation du monde rural breton : les rituels, les personnages aux caractères de granits et les liens sociaux qui sonnent juste - sans doute parce que la réalisatrice est petite-fille d’agriculteurs. Mais c’est plus que ça. Creusant le sillon (pardon) des films découverts en début de festival, Roxane est une nouvelle comédie sociale à l’anglaise, qui tire le portrait d’une communauté en crise et souligne les difficultés du monde paysan d’aujourd’hui. L’héritage est assumé : « J’adore les comédies anglaises, The Full Monty ou Billy Elliot. Ce sont des films qui ont un sens de l’authenticité très fort, et qui dispense en même temps un message optimiste essentiel à mon avis. C’était ce genre de cinéma que je cherchais à faire, un film avec de l’émotion, mais aussi avec du sens, qui puisse provoquer du débat… ». La morale est connue, mais ça ne mange pas de pain de la répéter une fois de plus : face à la violence économique, seul le collectif s’avère payant.

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Mais derrière tout cela, se cache aussi une belle idée poétique. Roxane est une histoire d’amours. On met ça au pluriel parce qu’il y a d’abord la relation entre Raymond et sa ferme et ses animaux (« Raymond il vient de la terre, il vit pour son exploitation et pour ses poules » explique Mélanie). Il y a aussi la belle relation entre Raymond, rêveur naïf, et sa femme plus terre à terre, confrontée dans son métier de banquière à la froide réalité comptable du monde. Ce beau couple formé par Léa Drucker et de Tonquédec est mis à rude épreuve, jusqu’à la résolution finale dans une scène subtile et émouvante à la banque, qu’on ne vous gâchera pas, mais qui retrouve l’esprit meilleurs screwball des fifties. Science du geste et du rythme, finesse de l’écriture, sentimentalité extrême et fragile : c’est imparable.

Enfin il y a l’amour de Raymond pour les mots. Ce personnage taiseux, qui refuse le dialogue, va finir par exprimer ses sentiments à travers les grands textes classiques.  "L’intérêt des grands auteurs, confie Guillaume de Tonquédec, c’est qu’ils écrivent pour nous. Quand on les lit on se dit : mais comment il me connaît ? Pourquoi il parle de moi comme ça ? Raymond, au fond, va mettre les textes au service de sa vie. C’est ça la force de la culture populaire : traduire nos émotions. Je vous parle de celle qui nous sert, qui nous aide à vivre. Pas de celle qui nous écrase, pas de la Kulture officielle ; non de la vraie culture populaire". C’est ça la force de Roxane : le portrait de ce Pierrot lunaire coupé du monde qui parvient à se reconnecter au monde et à lutter contre les prédateurs, grâce à Molière, Rostand et Guitry.