Kirk Douglas dans Les Vikings
Carlotta Films

Arte diffuse ce dimanche Les Vikings de Richard Fleischer porté par Kirk Douglas, qui a hissé le film d’aventures aux rayons des Beaux-Arts.

Kirk, le conquérant

L’ombre d’Orson Welles plane mystérieusement sur ces Vikings. C’est, en effet, sa voix qui lance le film en off. Mais l’auteur de Citizen Kane n’est pas crédité au générique. Le nom de Kirk Douglas, lui et bien présent en lettres d’or. Devant et derrière. Personnage principal de cette impressionnante fresque, le héros qu’il incarne se voit défiguré dès les premiers instants. Une marque dont l’apparente disgrâce (un œil crevé en l’occurrence) ajoute pourtant un surcroit de charme. Kirk Douglas venait de fonder sa propre société de production, Bryna Production, et après un relatif échec – La rivière de nos amours d’André de Toth – se lança dans l’épopée des Vikings en mettant son salaire en participation (un risque qui lui fera gagner beaucoup d’argent). C’est lui qui proposa à Richard Fleischer rencontré sur le tournage de 20.000 lieues sous les mers, de flotter de nouveau avec lui. Le film marque aussi sa première confrontation à l’écran avec Tony Curtis. Ici, frères ennemis portés par une haine viscérale qui aimante les deux corps. Kirk et Tony se retrouveront moins de deux ans plus tard dans Spartacus de Stanley Kubrick. Les Vikings, inspiré d’un roman d’Edison Marshall, raconte le parcours d’Einar (Kirk Douglas), fils d’un grand chef Viking, dans sa quête éperdue pour séduire la future reine d’Angleterre (Janet Leigh, deux ans avant la douche de Psychose), amoureuse d’un esclave au pedigree complexe (Tony Curtis). 

Spartacus raconté par Kirk Douglas

Richard Fleischer, le survivant de la cinéphilie

On ne remerciera jamais assez, l’apport des éditeurs vidéos dans la cinéphilie moderne. Grâce à une succession de sorties Blu-Ray, Richard Fleischer (1916 - 2006) connait ainsi un regain d’intérêt spectaculaire et se paye même le luxe d’être devenu un « auteur » à part entière. Lui qui dans une interview donnée pour l’émission Cinéma, Cinémas en 1990, alors qu’il faisait office de réalisateur de secours pour grosses productions à la dérive (Amityville 3D, Conan le destructeur...) se définissait comme un « pro » aimant relever « les défis », « passer pour un sauveur » avec un appétit avoué pour « l’argent. » Fleischer, fils d’un génie de l’animation, a débuté à la RKO où il enquillait les séries B dont L’énigme du Chicago Express, film noir ferroviaire trépidant, avant de croiser la route de Walt Disney, Jules Verne et Kirk Douglas pour l’adaptation en Technicolor de 20.000 lieues sous les mers en 1954. Cette première superproduction en entraînera beaucoup d’autres : Les Vikings, Barabbas, Tora ! Tora ! Tora ! ou encore Soleil Vert... Des saillies commerciales réalisées avec soin, disséminées tout au long d’une carrière mais qui ont fini par faire de l’ombre à tout une œuvre souterraine excitante, qui ressurgit peu à peu des limbes. « On dit de moi que je suis un bon cinéaste d’action, se lamentait Fleischer toujours dans Cinéma, Cinémas, ça m’embête parce que les films que je préfère dans ma carrière sont plutôt des drames psychologiques avec deux personnages dans une seule pièce. Cette intimité est plus difficile à rendre intéressante pour le spectateur qu’une scène d’action avec des caméras partout. » Citons alors ces « enfants maudits » qui lui valent aujourd’hui le respect : Les inconnus dans la ville, dilatation quasi abstraite du film de braquage ; Le génie du mal, vrai-faux remake de La Corde avec un Welles « bigger than life » ; Le malaisant Etrangleur de Boston où il retrouvait – en split-screen- Tony Curtis, le génial survival Terreur aveugle, giallesque en diable ou encore le fiévreux Mandingo... Chez Fleischer, la notion de « genre » ne semblait être qu’un prétexte pour sonder certaines extrémités de l’âme humaine dont il se sera amusé à encadrer les dérèglements. On peut ainsi voir Les Vikings comme le suicide programmé d’un homme (Douglas/Einar), écrasé par une frustration intérieure, doublé d’une romance homosexuelle contrariée par les convenances.

Jack Cardiff, génie de la lumière

Derrière Les Vikings et sa beauté spectrale en Technicolor qui dynamise autant qu’il place le film dans une dimension intemporelle, il y a Jack Cardiff, chef opérateur britannique dont le style éclatant et volontiers baroque a permis les plus belles percées esthétiques du cinéma à partir de la fin des années quarante. Un travail marqué par sa collaboration avec le duo Powell-Pressburger pour lequel il va signer le vertigineux Narcisse Noir ou les chatoyants Chaussons rouges. C’est lui qui est notamment derrière Les Amants du Capricorne, ce Hitchcock si mal-aimé mais dont la fièvre maladive saute aux yeux à chaque relecture. Citons également Pandora, The African Queen, La comtesse aux pieds nus, trois chefs-d’œuvre marqués par une esthétique extravertie. Jack Cardiff, passa également à la réalisation et après son travail sur Les Vikings, il se piqua même de réitérer l’exploit et signa lui-même les bien-nommés Drakkars en 1964 avec Richard Widmark et Sidney Poitier.

Les Vikings (The Vikings) de Richard Fleischer, dimanche 24 janvier à 20H55 suivi d’un documentaire sur Tony Curtis : Tony Curtis, le gamin du Bronx d’Ian Ayres à 22h50. Notez que ce dernier est déjà visible en replay.


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