Alors que les deux anthologies ont tenté un coup de poker similaire, Fargo réussit dans sa saison 2 sur certains points qui firent la faiblesse de celle de la série de HBO.
L'un des grands débats de l'année passée avait consisté à comparer les mérites de deux des séries les plus marquantes de 2014, en tout cas deux de celles qui avaient le plus marqué les observateurs. D'un côté, le phénomène True Detective, le thriller fiévreux de Nic Pizzolatto porté par le tandem Matthew McConaughey – Woody Harrelson ; et de l'autre Fargo, l'hommage glacé et glaçant de Noah Hawley au classique des frères Coen où brillant un autre duo de poids formé par Martin Freeman et Billy Bob Thornton.
Lancées plus ou moins à la même époque (Fargo a débuté sa diffusion un mois après la fin de celle de True Detective), puis mises en concurrence lors de la saison des Golden Globes (à l'avantage assez net de Fargo, deux statuettes à zéro), les deux séries ont toujours plus ou moins évolué en parallèle dans l'esprit du plus grand nombre, parfois de manière abusive. Mais alors que leurs chemins se sont séparés cette saison (plus de deux mois d'écart les séparent désormais), les parallèles ne manquent étrangement pas pour comparer ces saisons 2 qui sur bien des points continuent de se répondre en écho. Et souvent à l'avantage de Fargo, dont la saison 2 est applaudie par la critique tandis que celle de True Detective fut, parfois hâtivement, démolie.
Des ambitions assez proches
Ce qui frappe lorsque l'on prend du recul sur les saisons 2 des séries de FX et de HBO, c'est à quel point malgré leurs différences toujours marquées ces dernières ont toutes deux suivi des trajectoires assez comparables. Toutes deux partagent déjà en quelque sorte une certaine vision du retour dans le temps, symbolique dans True Detective (la saison 2 se déroule à notre époque mais tout y renvoie aux 80s flamboyantes, ère de l'urbanisation massive et incontrôlée de la banlieue de Los Angeles), effective dans Fargo (la saison 2 est un flashback, une origin story autour du personnage de Lou Solverson).
Narrativement ces deux saisons se construisent également sur des schémas identiques centrés sur un meurtre initial, celui de Ben Caspere pour True Detective, celui de Rye Gerhardt (Kieran Culkin) de l'autre. Deux meurtres qui impliquent à chaque fois des enquêtes menées par des unités dysfonctionnelles : dans la saison 2 de True Detective, Velcoro, Bezzerides et Woodrugh appartiennent à trois agences différentes tandis que dans Fargo, Lou Solverson (Patrick Wilson), venant du Minnesota, se heurte à ses confrères du Dakota du Nord quand il enquête dans la ville frontalière de Fargo.
Enfin, ces deux crimes impliquent à chaque fois des organisations criminelles qui se font en parallèle la guerre pour mettre la main sur un business juteux : celui des boîtes de nuit dans la série de HBO, celui du crime organisé local dans celle de FX. Avec d'un côté ceux de l'ancienne garde comme Frank Seymon (Vince Vaughn) et les Gerhardt et de l'autre les concurrents aux dents longues comme Osip Agranov (Timothy V. Murphy) et Joe Bulo (Brad Garrett). Bref, deux intrigues à travers lesquelles les deux séries se sont aventurées sur des terrains plus proches qu'il n'y paraît.
Un éparpillement narratif mieux maîtrisé
Mais ce foisonnement narratif auquel on assiste d'une part et d'autre n'a pas abouti aux mêmes constats. L'un des grands reproches adressé à la saison 2 de True Detective fut que cet éparpillement a abouti à une intrigue complètement bordélique, avec des personnages qui vont et viennent sans qu'on ait le temps de se rappeler quel était leur nom ou leur fonction. Le parti pris de Pizzolatto d'accorder autant d'importance à la résolution du meurtre de Caspere qu'aux accidents intimes de ses héros a conduit à une multiplication des sous-intrigues telle que les mener de front devint mission quasiment impossible.
Le parti pris de la saison 2 de Fargo fut quant à lui tout autre puisque la mort de Rye Gerhardt et ses conséquences directes restent au cœur de la quasi totalité des enjeux de l'action. Et ce alors que la série pousse peut-être encore plus loin le processus d'éclatement narratif. La saison 1 restait en effet principalement centrée sur le tandem improbable par Lester Nygaard (Freeman) et Lorne Malvo (Thornton), avec en arrière-plan l'enquête menée par les détectives Molly Solverson, la fille de Lou (Allison Tolman) et Gus Grimly (Colin Hanks). Difficile en revanche de dire qui est le véritable personnage central : Lou, qui sert de fil rouge entre les deux saisons ? Le couple délicieusement nunuche des Blumquist (Kirsten Dunst et Jesse Plemons) ? La matriarche Floyd Gerhardt (Jean Smart) ? Ou même encore l'énigmatique et inquiétant Mike Milligan (Bokeem Woodbine) ?
Toujours est-il que Fargo arrive à beaucoup mieux relier ses différentes parties, principalement en les reliant toutes au fur et à mesure que l'enquête avance. Là où True Detective reprend les codes du whodunit, tout en fausses pistes et en dévoilement progressifs, Fargo envoie valser le mystère (on sait d'emblée qui a tué Rye Gerhardt) pour se concentrer sur le joyeux bordel, souvent sanglant, dans lequel doivent se dépêtrer tous ceux qui sont de près ou de loin impliqués.
Rester fidèle au ton d'origine
Plus généralement, l'échec de la saison 2 de True Detective aux yeux d'une partie non négligeable du public reste assimilé à l'échec de Nic Pizzolatto. Célébré à juste titre pour sa capacité à avoir créé un univers hautement immersif et pour avoir abreuvé le public des monologues envoûtants de Rust Cohle lors de la saison 1, le showrunner s'est sans doute laissé rattraper par la folie des grandeurs. Guéguerre personnelle lancée contre le réalisateur de la saison 1 Cary Fukunaga, dialogues parfois excessivement pompeux (surtout dans la bouche de Semyon), multiplication des réalisateurs de moindre envergure, complication à l'excès de l'intrigue... la saison 2 est devenue en partie un egotrip de Pizzolatto, faisant la main sur une partie de l'héritage de la saison 1, dont la saveur venait de la convergence de talents à tous les postes.
À l'inverse, Fargo a joué la carte de la continuité. En s'éloignant mais pas trop de la saison 1 (mêmes lieux, fil rouge du personnage de Lou Solverson, même humour à froid, même déflagrations de violence), la saison 2 donne davantage l'impression d'une saison 1 améliorée. Obligée de rester fidèle et à son nom et à la paternité des frères Coen, auxquels la série continue de multiplier les hommages, Fargo s'est renouvelée sur les marges. Encore plus d'acteurs au sommet (de Kirsten Dunst au génial Bokeem Woodbine, de l'inquiétant Jeffrey Donovan au toujours aussi brillant Nick Offerman, tous sont excellents), encore plus de stylisation entre split-screens élégants, vue aériennes à couper le souffle et moments de bravoure de mise en scène (les scènes de fusillades en particulier)... Fargo a parfaitement réussi le pari du changement dans la continuité.
C'est en partie en cela que l'on peut comprendre la réussite de cette saison 2 de Fargo, qui multiplie les éloges de toutes parts (96 de moyenne sur Metacritic). Là où la saison 2 de True Detective, pourtant pas dénuée de qualités (Colin Farell et Rachel McAdams y sont excellents, la conclusion métaphorique fut très satisfaisante) n'est apparue que comme le garant d'un héritage trop grand pour ses épaules, celle de Fargo s'impose comme la suite d'un grand tout, d'un grand ensemble qui en fait aujourd'hui l'une des séries les plus captivantes du moment.
En France, Fargo, renouvelée il y a quelques jours pour une saison 3, est disponible quelques jours après la diffusion américaine sur Netflix.
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