De la nouvelle image bienveillante de John Lennon à sa complicité bluffante avec Paul McCartney, en passant par le démystification du concert de Savile Row...
Il était une fois, quatre garçons dans le vent... mais essoufflés. Rincés par le succès, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr se retrouvent en ce mois de janvier 1969 dans un studio de Twickenham, pour enregistrer 14 nouvelles chansons, pour une émission de télé, mais aussi en vue de leur retour sur scène, et leur prochain album... qui sera le dernier de l'histoire des Beatles ! A partir des soixante heures d'archives exceptionnelles - et 150 heures de captation sonore - enregistrées à l'époque, Peter Jackson a signé Get Back, série en trois épisodes disponible sur Disney + depuis quelques jours. Un document pour l'Histoire, qui va redessiner pour longtemps la perception du monde sur les Beatles. Une oeuvre qui en dit long sur les Fab Four, leur collaboration, leur intimité, leur séparation. Voilà ce qu'on retiendra.
La complicité de John Lennon et Paul McCartney
Lorsqu'ils se retrouvent dans ce studio de Twickenham, cela fait plusieurs semaines, peut-être même des mois, que les Beatles ne se sont pas vus. Totalement effacé durant les premiers jours (il ne dit quasiment pas un mot durant le premier épisode), John Lennon retrouve peu à peu ses marques et sa complicité avec Paul McCartney, au fil des enregistrements. Une connexion naturelle liait les deux amis d'enfance et elle saute aux yeux de manière bouleversante dans ce documentaire. Transparaît aussi une forme de nostalgie de leur relation passée. Celle de leurs débuts. Ils ont changé. Ils ont vieilli. Paul et John ne sont plus ces deux musiciens insouciants de Liverpool. "On n'habite plus ensemble. On ne se retrouve plus au réveil le matin pour faire de la musique ensemble", lance ainsi un Paul McCartney mélancolique, visiblement heureux de retrouver son camarade de jeu, même s'il apparaît étonnamment lucide sur l'évolution de leur amitié. Pendant ces quelques semaines, ils se retrouvent, jouent, improvisent, s'amusent. Dans le groupe, il y a leur binôme et les autres autour. C'est une évidence. "Il n'y a pas un seul moment dans toutes ces heures de rushes où l'un a un mot déplacé envers l'autre. (...) Le ton ne monte jamais entre eux", souligne ainsi la réalisateur Peter Jackson dans le dernier nunéro de Paris Match.
Paul McCartney, chef de bande
Pourtant, on aurait pu s'attendre à voir effectivement deux égos s'affronter, dans la création musicale. Mais il n'en est rien. À aucun moment John ne semble disputer le leadership du groupe à Paul. Ce dernier émerge ainsi comme le véritable compositeur, celui qui créait les chansons, les musiques, les paroles. Difficile de savoir comment se passait cette collaboration avec Lennon les années précédentes, mais pour l'album Let it Be, c'est lui qui insuffle l'inspiration aux Beatles. Qui donne le tempo des répétitions. Dirige. Recadre si besoin. Les autres suivent. John aussi.
Un "label" trompeur ?
Tant et si bien qu'on entend carrément dans l'épisode 2 un McCartney désabusé évoquer la création musicale des Beatles qui repose désormais entièrement sur ses épaules ou presque. Même si les chansons sont, comme il dit, encore "labellisées" Lennon et McCartney, on comprend entre les lignes que le véritable auteur/compositeur, depuis quelques temps (et du moins en cette année 1969), c'est Paul, bien qu'il doive publiquement co-signer ses morceaux avec John. Ceci étant dit, l'impact de Lennon dans la création des derniers titres des Beatles est probablement sous-présentée dans Get Back. Par exemple, on sait qu'il a écrit seul Don't Let me Down, ce qui ne transparaît pas du tout dans la série.
John Lennon, un ami qui vous veut du bien
Peut-être aussi parce que le chanteur iconique du groupe n'était visiblement pas du genre à se mettre en avant. Du moins à cette période, John Lennon apparaît dans Get Back comme un homme apaisé, doux, au calme sidérant. A mille lieues de son image de taiseux bougon égocentrique, "il est charmant, détendu heureux, patient, drôle", résume le réalisateur dans Paris Match. Il taquine ses potes. Les écoute attentivement. Suit leurs conseils. Avec un sourire permanent sur le visage, un regard plein de malice qui respire la joie de vivre. La légende le disait sur le départ à cet instant. Mais hormis le premier épisode (c'est à dire la première semaine d'enregistrement), à aucun moment, John ne paraît vouloir prendre ses distances avec le groupe. Il parle même d'avenir...
L'omniprésence déconcertante de Yoko Ono
Est-ce sa femme qui lui conférait une telle sérénité ? Une telle sagesse ? En tout cas, elle est tout le temps là. Collée à Lennon comme une ombre, l'artiste japonaise ne quitte jamais John. Ne disant presque pas un mot en 8 heures, se lançant par séquence dans des trips "musicaux" psychédéliques, elle est insaisissable, comme une entité spectrale accompagnant les derniers jours des Beatles. Si Paul n'a manifestement aucun feeling avec elle - on ne les voit jamais échanger, se regarder, ou discuter - il l'accepte sans broncher, comprenant la place qu'elle occupe désormais dans la vie intime de son ami. On ne sait pas ce que Yoko pense de la musique jouée par le groupe de son mari. On ne sait pas ce qu'elle pense tout court. Mais dans un instant de clairvoyance bluffante, McCartney explique à ses amis qu'il faut s'adapter à cette relation fusionnelle et à sa présence constante. Car John a besoin d'elle. Et Paul de conclure avec cette petite phrase qui change tout : "Ce serait quand même risible que dans 50 ans, on dise que les Beatles se sont séparés parce que Yoko s'est assise sur un ampli..."
Le départ de George Harrison
Cette discussion, à elle seule, montre qu'il y avait bien un "obstacle" à surmonter avec Yoko Ono, même si Paul ne voulait pas qu'elle en devienne un. Néanmoins, ce n'est manifestement pas elle qui a causé la séparation du groupe. Du moins, les choses ne semblent pas aussi simples que ce que l'histoire a choisi de retenir. Il y avait déjà de vraies dissensions au sein du groupe, en 1969. Et celui qui les affiche le plus clairement dans Get Back, c'est George Harrison. Le guitariste des Beatles apparaît frustré par sa position. Il aimerait plus de place. Pouvoir se comparer à Eric Clapton. Pouvoir imposer ses propres chansons. Il parle d'ailleurs ouvertement de son envie de faire un album en solo. Et quand McCartney se montre trop dirigiste, il claque la porte ! Alors qu'on pouvait s'attendre à voir Lennon se braquer, c'est en fait Harrison qui quitte le groupe et qui est ramené in-extremis par ses camarades (et Yoko).
L'usure, véritable raison de la séparation ?
Il y avait donc un malaise, déjà, durant cette période, même si c'est ensemble, soudés, que les Beatles vont terminer l'enregistrement de l'album Let it Be. Ensemble qu'ils vont se retrouver sur le toit de l'immeuble Apple Records de Savile Row. A cet instant, ils semblent presque prêts à continuer encore un long moment. Mais ce concert sera en réalité leur dernier. Cet album sera en réalité leur disque d'adieu. Get Back se termine sans donner de véritable explication à la séparation du groupe. On comprend juste que les quatre garçons sont repartis chacun de leurs côtés, comme ils étaient venus. Que seul Paul semblait prêt à poursuivre l'aventure comme avant. Les autres, eux, avaient juste envie d'autre chose et n'ont tout simplement pas eu la flamme pour se réunir à nouveau après ça...
Les réticences d'un Ringo Starr presque rangé
Bien sûr, il y avait John et sa vie avec Yoko, ou George et ses projets en solo. Mais aussi Ringo, qui semble vouloir dire stop au fil des épisodes. Sur le point de devenir papa pour la troisième fois, il mène une vie quasiment rangée. Surtout, il ne veut plus faire de grosse tournée et encore moins jouer à l'étranger ! Alors que le groupe envisage un énorme concert "come back" dans un amphithéâtre en Libye, il met clairement son veto, pas du tout motivé à l'idée de reprendre une vie de rock star.
L'étonnante lucidité des Beatles sur eux-mêmes
À l'opposé de ses camarades ayant totalement embrassé le mode de vie hippie, Ringo est décrit dans la presse de l'époque comme le seul des quatre qui a su rester "normal". Les trois autres ont évidemment changé, depuis leurs années Yéyé. Ils n'ont plus envie d'être les pop-stars de Help! Une nouvelle version des Beatles que le monde a déjà découvert dans leurs disques, avec plus ou moins d'assentiment. John et les autres savent, à ce moment-là, qu'ils ne font plus l'unanimité. Lisant un article de presse au sujet de leurs récentes embrouilles - suite au départ de George Harrison - ils rigolent de la manière dont ils sont dépeints dans l'opinion. Ils ont manifestement pleinement conscience de leurs évolutions respectives et les assument avec une déconcertante simplicité dans Get Back.
Des musiciens vraiment géniaux
"Je suis vraiment heureux que Peter [Jackson] se soit aventuré dans nos archives pour faire un film qui montre la vérité sur les Beatles enregistrant ensemble. L'amitié et l'amour entre nous est palpable et me rappelle les moment magnifiquement fou que nous avons passés", commente Paul McCartney, dans un communiqué de Disney. Get Back est effectivement une ode à l'amitié des Beatles, à leur génie aussi. Car ce docu montre à quel point Paul était un maestro de la mélodie, à quel point George était ce guitariste surdoué qui ne demandait qu'à s'éclater sur son manche, ou à quel point John était un virtuose absolu, capable de de tout jouer, tout le temps. Inspirés, ils ont ainsi créé en quelques jours une demi-douzaine de chansons restées dans les annales, des titres complexes, profonds, indémodables. Si doute il y avait encore sur le génie artistique des Beatles, il est levé dans ce doc.
Bonus : la vérité sur le concert de Savile Row
Un génie magnifié en apothéose sur le toit d'Apple Records, dans le centre de Londres. Cela fait plus de 2 ans que les Beatles n'ont pas donné de concert en live. Ils cherchent quelque chose d'unique, d'abord pour enregistrer leurs derniers titres. Ils vont donc monter sur ce toit. Ils ne le savent pas encore, mais ce sera leur tout dernière représentation en publique. Get Back dévoile, pour la première fois en intégralité, les 40 minutes de cette performance étrange. Les Beatles y jouent trois chansons. En boucle. Pour les besoins de l'enregistrement. Le public, 20 mètres plus bas, ne les voit pas. Il entend juste les amplis qui détonnent dans les rues de la ville, à l'heure du déjeuner, et qui font rappliquer des "Bobbies" pas franchement enclins à se montrer conciliants. Le feu d'artifice espéré n'a pas vraiment lieu. La police, retenue au maximum par la standardiste dans une séquence surréaliste, finie par faire couper les amplis. Paul et les autres redescendent sans faire d'histoire. Ils avouent dans la foulée que ce n'était pas une super idée et certainement pas le concert du siècle. Mais c'était leur dernier ensemble. Un live complètement improbable que le doc démystifie totalement.
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