Première
par Sylvestre Picard
It’s all bullshit", en fait. La noble généalogie de la famille Gucci, la fortune fondée sur des sacs en cuir de luxe alors qu’en réalité ce sont les imitations chinoises les plus profitables : bullshit. "La qualité, c’est pour les riches", commente l’oncle Aldo Gucci (Al Pacino) face aux copies made in China. L’art, ou bien une vaste escroquerie menée par de vieux croulants : c’est là l’idée la plus fascinante, et la plus convaincante, du nouveau Ridley Scott. En tout cas, ça semble plus intéresser le cinéaste que le destin tragique du couple formé par Maurizio Gucci (Adam Driver) et Patrizia Reggiani (Lady Gaga). Cette dernière essaye de parvenir à la fortune en mettant le grappin sur l’héritier de la fortune Gucci dans le monde de la mode des années 80. Le point de départ est donc cette histoire vraie, honnêtement intéressante -mais bien moins dingo que celle de Tout l’argent du monde, le dernier "true story" en date de Scott, thriller mythologique mortifère, véritablement rongé par l’idée de la mort. La camarde passera elle aussi son aile sur House of Gucci, à travers le personnage -superbe- de Rodolfo (Jeremy Irons), l’artiste de Gucci, ex-jeune premier attendant la mort dans sa demeure ténébreuse en se projetant ses vieux films. Par contraste, son frangin Aldo est le boutiquier flamboyant, d’apparence noble mais prêt à toutes les compromissions pour faire du fric.
Alors que Pacino et Irons sont réellement splendides en vieilles bêtes agonisantes, voilà que débarque Paolo, le fils raté, artiste de très mauvais goût convaincu d’être un génie -et joué jusqu’à l’irritation par un Jared Leto surmaquillé et surcabotin, sûrement persuadé d’être De Niro dans Raging Bull. Et si c’était voulu ? L’acteur-escroc joue un designer-escroc ? Idée géniale de cinéma ou bullshit ? C’est le problème du film de ne pas réussir à théoriser tout ça clairement, pour n'être qu'une farce noire hésitant entre le grotesque vintage d’American Bluff (avec lequel il partage son goût de la malle à costumes, et l’utilisation de I Feel Love de Donna Summer) et la noirceur terrible des meilleurs Scott récents comme Cartel. Mais House of Gucci n’est pas assez bien écrit pour supporter la comparaison avec Cartel, et se repose sur le jeu de son casting. A part Leto, rien à dire sur les performances du casting. Même si l’accent forcé de Lady Gaga, au demeurant super, surtout dans son duo réjouissant avec la cartomancienne trash (encore une arnaqueuse, tiens donc) jouée par Salma Hayek, sonne drôlement russe, et drôlement pesant. Le genre de performance qui finit par étouffer plutôt que renforcer le propos passionnant de House of Gucci. Un film hésitant et fascinant, donc, mais bon, après tout, "it’s all bullshit"