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Après une série de films sur les rapports hommes-femmes (ou hommes-mères, comme dans "Quelques heures de printemps"), Stéphane Brizé déplace de plusieurs crans le centre de gravité de son cinéma : la naissance des sentiments est ici remplacée par la gestion des ressources humaines, la passion amoureuse par la crise financière. Le réalisateur de "Mademoiselle Chambon" passe en quelque sorte de Claude Sautet à Ken Loach, tout en conservant une forme (la succession de séquences autonomes et brutes) empruntée aux frères Dardenne. Pour opérer cette transition, Brizé a fait trois choix radicaux. Il a d’abord sollicité la collaboration d’Olivier Gorce, le scénariste de "Violence des échanges en milieu tempéré", drame social prémonitoire qui racontait la crise avant la crise. Celui-ci apporte au script une précision documentaire fixant un cadre solide où peut s’épanouir la fiction, comme dans les films de Loach. Dans un second temps, il a fait appel à un directeur photo issu du documentaire pour sa capacité à cadrer intuitivement les personnages. Enfin, il a rassemblé autour de l’imposant Vincent Lindon une cohorte d’acteurs amateurs, qui tiennent pour l’essentiel leur propre rôle. Le résultat est à la fois saisissant de réalisme et stupéfiant de maîtrise. Arc-boutées sur Vincent Lindon, bloc de détermination prêt à céder, les plans séquences cruels s’enchaînent : dialogue à sens unique chez Pôle Emploi, bouffe triste en famille, entretien d’embauche pipé sur Skype, rendez-vous traquenard à la banque... Chaque tranche de vie tire sa force de la précédente – y compris la première, dont on comprend qu’elle fait suite à un stage de formation stérile. Pas de voix off, pas de musique, pas de scènes sursignifiantes. Du premier au dernier plan, on est dans le dur avec Thierry pour une sorte de voyage au bout de l’enfer du déclassement social où les respirations sont rares – ici un cours de rock, là une chanson à l’occasion d’un pot de départ. Fidèle à ses méthodes et à ses convictions, Brizé traque le romanesque derrière les situations les plus banales qui soient, faisant à la fois de Thierry un héros du quotidien et le miroir d’une société gangrenée par le chômage de masse et l’individualisme galopant. Chaque film avec Vincent Lindon est un documentaire sur Vincent Lindon. Brizé, qui le retrouve pour la troisième fois, le sait bien. Il s’accroche à la silhouette trapue et abattue de l’acteur qui occupe l’écran avec ce mélange de proximité, d’humilité et de puissance animale sans équivalent en France. Sous l’oeil bienveillant du réalisateur, Vincent Lindon épure son jeu à l’extrême, se fond dans la masse jusqu’à s’effacer... Ultraprésent mais jamais envahissant, il est souvent filmé de trois-quarts, en retrait de l’action comme dans les humiliantes scènes d’interrogatoire notamment où son personnage écoute les pauvres anonymes pris en flagrant délit de vol dans le magasin où il travaille. Cette "disparition" de l’acteur constitue l’autre attraction d’un projet singulier à l’évidente portée universelle.
Toutes les critiques de La loi du marché
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Dès le premier plan, au milieu de ses partenaires amateurs, Vincent Lindon disparaît entièrement derrière Thierry et l'incarne au sens premier du terme, avec la puissance tranquille d'une dignité qui serre le coeur. (...) "La loi du marché" est l'un de ses chefs-d'oeuvre.
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Une bombe, qui par sa lecture politique de la situation, dynamite l’ordre et la morale. En termes de langage cinématographique, c’est simplement un chef d’oeuvre. Brizé n’est pas Ken Loach. Mais dans l’expression d’un engagement, son art dessine une nouvelle voie.
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Brizé est parfaitement épaulé par des comédiens admirables. (...) Vincent Lindon est d’ores et déjà candidat au prix d’interprétation : sa tronche de prolo bonasse, son timbre rocailleux, son phrasé hésitant, son humilité, son humanité, tout cela passe avec une puissance qui fait oublier la technique.
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"La Loi du marché" est un film formidable, étonnant de bout en bout, qui vous dessine une banane sur les lèvres du début à la fin.
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La Loi du marché est à voir pour lui (Vincent Lindon ndlr). Le comédien joue avec des non-professionnels. Ce qui apporte au film une force troublante et un réalisme accru. Lui fabrique du romanesque, eux peignent la réalité. Bientôt, plus rien ne les distingue. Bientôt, l'émotion gagne. Bientôt, la dureté du bitume fait mal.
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Le réalisateur Stéphane Brizé a recours à une forme qui se révèle à la fois originale et pertinente (petit budget, tournage léger, chef opérateur venu du documentaire filmant en format scope, acteurs non professionnels, tous employés dans leur propre fonction) pour un sujet a priori revêche.
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Un film fort qui redistribue les cartes de l’œuvre de Stéphane Brizé, surprenant toujours le spectateur par son approche narrative, sa maîtrise chorégraphique de la mise en scène et sa direction d’acteurs subtile.
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Stéphane Brizé a réalisé un film à nul autre pareil, moderne, puissant, engagé. Un film où le monde d’aujourd’hui se dévoile dans sa nudité, obscène.
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Vincent Lindon s’efface totalement derrière son rôle de chômeur quinquagénaire. Ni pathos, ni caricature, ni quête de performance : exemplaire.
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Une prestation absolument extraordinaire de Vincent Lindon, dans laquelle soufflent une humanité et une émotion fortes.
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"La Loi du marché" témoigne avec une dignité et une humanité bouleversante de l'horreur quotidienne vécue par Thierry (et les autres).
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C'est du cinéma vérité, tourné caméra à l'épaule, en partie avec des comédiens non professionnels. Et Lindon n'a jamais sans doute été aussi brillant que dans cette partition brutale.
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"La Loi du marché" est un film sur ces humiliés et ces offensés. Sur un système qui les pousse à s’humilier. Qui s’autorise à les offenser. C’est un film de combat. Une tragédie ordinaire.
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Vincent Lindon est très fort à cet égard pour faire oublier pendant une heure trente qu’il ne vit pas dans un mobile-home et, pour le coup, les nombreux non-professionnels qui l’entourent ne sont jamais traités comme de simples faire-valoir.
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Stéphane Brizé décrit la cruauté de la société et la difficulté de retrouver du travail avec férocité. Un regard sagace plein d’empathie jamais diminué par une mise en scène un peu poussive.
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Sobre, juste, implacable, ce réquisitoire contre une société du tous contre tous frappe le coeur et l'esprit.
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Armé de sa caméra, il offre à Vincent Lindon, une partition magistrale. Ce dernier, confronté à sa survie et à sa propre conscience, avance contenant sa rage muette et tente finalement de conserver l’essentiel : sa dignité. Saisissant
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L'urgence est sensible dans la façon dont il (le réalisateur ndlr) évolue comme dans un reportage laissant le spectateur suspendu entre la réalité et une fiction que des rencontres l'ont aidé à construire.
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Tour à tour pataud, touchant, révoltant, voire burlesque, Vincent Lindon incarne à lui tout seul cette chronique de la violence sociale ordinaire.
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Filmant la quasi totalité de son film en cadres serrés et sans aucune profondeur de champ, Brizé écrase littéralement son personnage à l’image, offrant au public une expérience étouffante et extrêmement malaisante. (...) La démonstration s’avère parfois maladroite, mais "La Loi du marché" a le mérite de porter un regard frontal et contemporain sur notre époque, celle voulant pousser chacun d’entre nous à la résignation.
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Vincent Lindon se substitue littéralement au film, au cœur d’une mise en scène chevillée à ses affects qui se présente comme un désagréable stigmate du principe de la star jetée au milieu d’un films-à-acteurs-non-professionnels, gage de charité bien hypocrite (...)