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Photo Credit: Aidan Monaghan / Aidan Monaghan / © 2023 Par. Pics. TM Hasbro.

En revanche, les réalisateurs ne voulaient "pas de méta à la Jumanji" pour adapter le célèbre jeu de rôles. Ils expliquent pourquoi dans Première.

Donjons et Dragons l'honneur des voleurs, sorti au printemps au cinéma, sera diffusé pour la première fois à la télévision, ce soir. Rendez-vous sur Canal + à 21h10.

Dans notre numéro d'avril (n°539, avec François Civil en couverture), nous avions interviewé ses créateurs. Nous repartageons cet entretien, qui raconte la genèse de cette adaptation portée par Chris Pine, Michelle Rodriguez et Hugh Grant, à l'occasion de cette programmation télé.

Donjons & Dragons : comment les réalisateurs ont obtenu ce caméo improbable

À l’aube de ses 50 ans, Donjons & Dragons n’a jamais été aussi populaire. Le vénérable ancêtre des jeux de rôle tente un héroïque retour vers le cinéma sous la forme d’un blockbuster conçu comme un Marvel. Les deux réalisateurs, John Francis Daley et Jonathan Goldstein, et le producteur Jeremy Latchman nous racontent la genèse de Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs.
Par Sylvestre Picard

Tout a commencé dans une auberge. C’est le point de départ de beaucoup de séances de jeu de Donjons & Dragons : les aventuriers sont dans une taverne, et on leur propose une mission dangereuse (généralement, explorer
le repaire des monstres pas loin, tout massacrer et repartir avec le butin). Sauf qu’ici, on parle du monde réel.

John Francis Daley était dans un bar de Los Angeles lorsqu’on lui a offert de réaliser la nouvelle adaptation cinéma de Donjons & Dragons, avec son complice Jonathan Goldstein. « On venait de lâcher le film The Flash et ça avait aiguisé notre appétit : on voulait toujours réaliser un gros film événementiel, raconte Daley. Et puis je suis allé voir un match de baseball dans un bar avec ma femme. Là, je tombe sur un agent de CAA [la plus puissante agence artistique hollywoodienne]. On commence à parler et il me dit : “Donc vous cherchez un film à faire ?” Moi : “Ouais, j’imagine…” Il a appelé direct la Paramount en proposant mon nom et celui de Jonathan. On a reçu le scénario et on a fait une réunion au studio… » Ça paraît hasardeux, raconté comme ça, mais le choix de Daley et Goldstein était parfaitement logique.

Certes, leur précédent film, Game Night (2018), était une sorte de Very Bad Trip autour des jeux de société et les deux compères avaient signé les scripts de comédies comme Tempête de boulettes géantes, Comment tuer son boss et le sous-estimé L’Incroyable Burt Wonderstone… Mais ils ont surtout participé à l’écriture de Spider-Man : Homecoming, soit le retour réussi de l’homme-araignée au sein du Marvel Cinematic Universe. Ce qui les a bien placés pour réaliser The Flash chez Warner (finalement c’est Andy Muschietti, le réalisateur de Ça, qui a tourné le film avec Ezra Miller), puis partir chez la Paramount pour Donjons & Dragons – emmenant leur producteur de Homecoming, Jeremy Latchman.

Avec Daley et Goldstein aux commandes, le film, resté pendant dix ans dans le development hell, pouvait donc redémarrer sous de bons auspices. Annoncé d’abord en 2013 chez Warner, provoquant une menace de procès de la part de Hasbro (le tout-puissant propriétaire de la marque Donjons & Dragons) qui affirmait vouloir produire un film D&D chez Universal (avec Chris Morgan, scénariste de Fast & Furious, aux manettes), le projet n’avait fait que stagner depuis. Il faut dire que la perspective d’un film Donjons & Dragons rappelait la première tentative de 2000, épuisant navet avec Jeremy Irons dans le rôle du maléfique sorcier Profion, signé de l’inconnu Courtney Solomon. Un an plus tard, Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson sortait en salles et le film D&D était définitivement rangé dans le tiroir à nanars.

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Aidan Monaghan / Aidan Monaghan / © 2023 Par. Pics. TM Hasbro.

Les Gardiens de la fantasy
En 2023, un film Donjons & Dragons n’est plus une idée aussi farfelue que ça. Le jeu n’a jamais été aussi populaire, boosté par un contexte idéal : la crise du Covid a fait grimper en flèche la pratique du jeu de rôle en ligne ; les quadras nostalgiques initient la jeune génération au jeu ; la jeune génération est friande de loisirs rétro (merci Stranger Things) et de youtubeurs diffusant leurs parties de D&D en ligne (actual plays). La chaîne d’actual plays la plus connue, Critical Role, est animée par des comédiens de doublage et compte 1,93 million d’abonnés. Leurs parties de D&D ont même engendré la série animée The Legend of Vox Machina, diffusée sur Prime Video : le studio vient d’ailleurs de signer avec Critical Role pour un projet de série en live action.

Bref, mettre plus de 150 millions de dollars sur la table pour un film D&D est désormais parfaitement normal. Surtout si on l’envisage comme une production Marvel, avec son mélange de fun un peu désabusé, légèrement méta, capitalisant sur une bande de héros/voyous inadaptés dans un monde de fantasy coloré… Est-ce que Paramount tente de faire ses Gardiens de la galaxie (le film ressemblait déjà sérieusement à une partie de jeu de rôle filmée, avec sa bande de misfits bariolés et ingérables) ?

« On ne voulait pas vraiment faire le même film, mais on voulait avoir des enjeux, de l’émotion et des rires. On respecte le genre fantasy, où les personnages affrontent des trucs très sérieux… Pourtant nos héros sont très “défectueux”, et c’est marrant de les voir dans ces situations. Donc oui, ça ressemble aux Gardiens de ce point de vue-là, concède John Francis Daley. Mais je ne crois pas qu’on s’en soit inspirés en termes de storytelling. Ceci dit, le succès du MCU a autorisé d’être fun en adaptant ces franchises. L’alliance de l’humour et du grand spectacle, ça  n’arrivait pas forcément avant… Je crois que le but des Gardiens était de montrer le space opera sous un nouveau jour. Depuis Star Wars, ça a toujours été un genre un peu sérieux… Les Gardiens, c’est toujours du space opera mais auquel on peut plus facilement s’identifier. C’est plus contemporain. Et c’est pareil pour la fantasy : il y a Game of Thrones et Le Seigneur des anneaux, considérés comme des modèles inégalés. Alors comment apposer notre marque sur le genre ? L’enjeu, c’est de le rendre accessible à quelqu’un de totalement extérieur. Ça tombe bien, puisque l’humour fait partie intégrante de la structure de D&D depuis ses débuts. Ce n’est pas comme si on trahissait l’esprit de la franchise. Notre voix, notre ton, pouvait s’exprimer librement ici. »

Mais est-ce que la formule Marvel est désormais inévitable dès que l’on s’attaque à l’entertainment grand public ? Pas du tout, d’après le producteur Jeremy Latcham : « Le but était de faire un film qui a du cœur et qui résonne avec le public, qui mérite qu’on sorte de chez soi pour aller au cinéma. À un niveau fondamental, ce n’est pas quelque chose qui différencie Marvel de DC ou de Harry Potter, non ? Ou du Seigneur des anneaux, de Mission : Impossible… Quand Hollywood fait de son mieux, on espère que les films racontent des histoires humaines sur un canevas immense. »

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Paramount Pictures

L’anti-Jumanji
Selon les cinéastes, la solution pour faire de Donjons & Dragons un film « qui mérite de sortir de chez soi » était donc de viser le grand public : « Il ne fallait surtout pas faire un film uniquement pour les fans », explique Daley. Mais, précise Goldstein : « Il y a eu des centaines d’heures de discussion : comment satisfaire les fans et les non-fans ? Il y a des éléments de fantasy qui, si tu ne connais pas l’univers, peuvent te perdre. »

Le film Donjons & Dragons propose ainsi des personnages et une histoire qui ont été créés spécialement pour l’occasion, mais se déroule dans un des univers du jeu les plus connus : les Royaumes oubliés, un grand amalgame, au charme tranquille, de tous les poncifs de la fantasy D&D, qui était déjà le cadre de Baldur’s Gate, l’excellent jeu vidéo à succès de 1998.

Le film ne cherche pas à reproduire l’expérience du jeu de rôle « sur table » – se réunir entre potes et créer une fiction partagée, « jouer pour découvrir ce qui va se passer » – mais à raconter une aventure de fantasy. Comme nous l’explique Jonathan Goldstein : « Vous n’avez pas besoin de savoir quoi que ce soit à propos de D&D pour apprécier le film. On utilise des villes de l’univers, toutes sortes de créatures, des personnages… Le génie du jeu D&D est de créer son propre voyage dans ce monde. C’est comme ça qu’on a envisagé le film : comme un grand bac à sable construit à partir de cinquante ans d’univers. On a créé nos propres personnages pour les projeter dans notre aventure. »

Et surtout, pas de blagues méta, pas de mise en abyme où l’on entre dans une partie de JDR. « C’était une des idées de départ, oui, mais on a pris très vite la décision de ne pas faire de méta, pas de truc à la Jumanji où l’on pénètre dans le jeu, parce que si tu vois le film en te disant que ce sont simplement des gens qui jouent à un jeu, que rien n’est vrai, ça ne marche pas », nous dit Daley. Le producteur Jeremy Latcham poursuit : « Le film est fun parce qu’il prend quand même en compte les règles du jeu. Quand un joueur fait un échec critique sur un jet de dés et que quelque chose de marrant se produit, vous voyez ? » Daley enchaîne, enthousiaste : « Oui, on sent vraiment dans l’écriture les variations créées en fonction des réussites et des échecs – ça impacte le storytelling ! » que l’on peut surtout résumer à cet objectif : entamer la grande conquête du public familial. Sauf en cas d’échec critique.


Donjons & Dragons : L'Honneur des voleurs, un robinet d'eau tiède [critique]