Le film-somme du réalisateur de Gravity et des Fils de l’homme est enfin disponible sur Netflix.
Mise à jour du 25 février 2019 : Alfonso Cuaron a remporté avec Roma les Oscars 2019 du meilleur réalisateur, de la meilleur photographie et du meilleur film étranger. Le palmarès complet est à voir ici.
Roma est un souvenir d’enfance. Comme dans Amarcord (Fellini, 1974), A Brighter Summer Day (Yang, 1991) ou The Tree of Life (Malick, 2011), on comprend instantanément que l’homme derrière la caméra parle à la première personne. Ça se voit à la façon dont la caméra s’attarde amoureusement sur chaque micro-détail de la vaste demeure bourgeoise de Roma (le nom d’un quartier de Mexico City) qui tient lieu de décor principal au film : les étagères gorgées de livres, le canapé trop petit où s’entasse toute la famille (quatre enfants, une grand-mère, une maman, un papa qui va bientôt foutre le camp), les crottes de chien qui jonchent l’allée du garage… Pas besoin d’avoir lu les interviews données par Alfonso Cuarón pour comprendre que tout ici est vrai – ou, du moins, fidèle aux souvenirs de l’auteur. Mais si le noir et blanc est là pour signifier qu’il s’agit d’une plongée dans le passé, la froideur digitale de l’image souligne en même temps que ce souvenir est en partie reconstruit, réinvesti par les sentiments et les pensées d’aujourd’hui. Roma est un flash mémoriel trafiqué rétrospectivement.
Le monde perdu
Cuarón retourne dans le monde perdu de l’enfance pour lui donner du sens. C’est pour ça que le héros du film n’est pas un bambin alter-ego du cinéaste, mais Cleo, la bonne à tout faire. Celle qui traditionnellement n’aurait jamais pu espérer être la tête d’affiche. Cleo tombe enceinte, le mec qui l’a mise en cloque prend la poudre d’escampette (en même temps que son employeur, qui abandonne femme et enfants) et tout ça ne la réjouit pas, non, d’autant moins que les présages de mort se multiplient autour d’elle. Mais qui était vraiment Cleo, se demande Cuarón aujourd’hui. Quelles étaient ses pensées secrètes ? A quoi ressemblait sa vie, son monde intérieur, quand elle n’était pas en train d’étendre le linge, de ranger la chambre des gosses ou de ramasser les crottes du chien ? Autant de questions qu’on peut se poser enfant, qui passent comme des nuages, et auxquelles Cuarón, devenu grand (grand cinéaste), décide de répondre. Il veut filmer ce qu’il ne pouvait pas voir (pas comprendre) quand il était enfant. Roma sera donc une aventure du regard. C’est ce que suggère l’un des premiers plans du film, dans lequel la caméra s’attarde sur le sol de la cour de l’immeuble. Filmer le sol d’une cour d’immeuble, ce n’est pas très intéressant. Mais jetez de l’eau dessus, et il agira comme un révélateur : vous verrez alors le ciel, puis un avion traverser celui-ci. Tout le film (tout le cinéma de Cuarón ?) est dans ce plan : l’élan mystique, et la soif d’aventures.
Rêve de gosse
Monument théorique cherchant constamment à provoquer un pur frisson poétique, Roma constitue un complément de programme idéal à La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro, qui revisitait lui aussi une époque (les Etats-Unis des années 50) en donnant le premier rôle aux « invisibles » - femmes, Noirs, homosexuels, ceux qui passent le balais en la bouclant et sont priés d’emprunter la porte de service. Au-delà des correspondances culturelles, esthétiques, avec le film de son compatriote, Cuarón démontre surtout ici l’extraordinaire cohérence thématique de son œuvre, donnant un tour de vis supplémentaire à une filmo qui a pris une ampleur folle depuis Les Fils de l’homme et Gravity. Au détour d’une citation sublime des Naufragés de l’espace (Marrooned, 1969, de John Sturges, avec Gregory Peck) où l’on voit des cosmonautes dériver dans l’immensité étoilée, Cuarón explique ouvertement (encore une fois, sans dire un mot) que réaliser Gravity était pour lui un rêve de gosse. Et que maintenant que ce rêve était devenu réalité, il pouvait revenir sur sa terre natale, réécrire son enfance, et raconter une poignée de destins ordinaires avec le même souffle épique et les mêmes plans-séquences stupéfiants qui animaient son survival dans le cosmos. Le résultat, encore une fois, donne le vertige.
Roma, de Alfonso Cuarón, avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira…. Sur Netflix.
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