- Fluctuat
On peut rêver d'un Arsène Lupin réalisé par Johnnie To. Ce serait sans doute beau et jouissif, le gentleman cambrioleur en double d'un cinéaste qui dérobe la pellicule comme d'autres les bijoux. To, en effet, est un voleur qui a de la classe : Breaking News offre une relecture aussi ludique qu'inventive de la série télévisée 24.
Avant d'être cinéaste, Johnnie To est aussi spectateur et surtout producteur. Avec sa société, la Milkyway Image, il essaie de maintenir depuis quelques années le rêve consommable de Tsui Hark et de sa Film Workshop, aujourd'hui en déclin. Entre projets personnels et commerciaux, il cherche toujours la recette idéale, à se caler pile dans l'air du temps ou au contraire à se décaler pour mieux se renouveler (The Mission, Running on Karma). Homme de concept et philosophe à ses heures, To sait comment, à partir d'une idée, développer une problématique qu'il va déplier tout au long du film. Dans Breaking News, la formule est 24, série télévisée produite par la Fox. Le cinéaste avait déjà réalisé un coup similaire avec Expect the Unexpected (attribué à Patrick Yau, mais personne n'est dupe, comme pour le génial The Longest Nite), où il avait littéralement décalqué les partis pris de la série NYPD Blue.To est un cinéaste de Hong Kong. Il sait se réapproprier des formes initialement élaborées ailleurs. Mais il serait faux de le réduire au rôle d'habile faiseur de remake. Sa grande force dans Breaking News n'est pas seulement d'avoir appliqué la formule de la série 24 - l'idée du temps réel, sa mise en scène, son montage éclatant et resserrant sans cesse les points de vue -, mais aussi et surtout d'en avoir développé la problématique interne. Il a su resituer, en l'insérant dans le mouvement et le dispositif du film, ce qui dans 24 se résumait à une représentation télévisuelle. Ce feuilleton, par ses choix de mise en scène (effets de reportage, aspect news ), présente les événements comme s'ils étaient retransmis par CNN, à la nuance près que cette retransmission explorerait non seulement l'action mais aussi l'intimité de chaque protagoniste. A sa manière, la série est au final une sorte de documentaire fictionnel.Avec Breaking News, To part simplement du constat que tout ceci n'est qu'un spectacle. Il s'agit ici d'une sorte de 24 appliqué, où la forme propre de la série est décryptée, remise en contexte, et non pas seulement décalquée (contrairement à Expect the Unexpected). Il montre comment on peut se servir de son effet pour l'actualiser et jouer avec lui. To offre une lecture personnelle de 24, ou plus précisément une déclinaison. Il montre, par le biais d'un polar urbain efficace, palpitant, virtuose (mais parfois démonstratif), comment la série américaine peut être dépliée et discutée. Sans jamais perdre de vue l'intensification de l'espace, une histoire de face-à-face comme il les apprécie tant, il se pose en petit maître parfaitement conscient des moyens propres aux nouvelles images.Affranchissement dans la contrainte
Pour le plaisir d'un plan séquence, qui au-delà de la performance devient une belle manière de repositionner le regard au milieu d'une fusillade, To s'affirme avec Breaking News dans la droite ligne de Tsui Hark (tout en s'en éloignant par la volonté de discours). Grand amateur de formes, il rejoue ici ce qui a sans doute été l'une des grandes forces du cinéma hongkongais : solutionner des problèmes formels à partir d'une cinématographie étrangère, comme toujours celle de Hollywood, grand pourvoyeur de liberté filmique.Cet affranchissement dans la contrainte montre aussi à quel point To a une conscience aiguë du territoire dans lequel il s'engage. Il sait, bien au-delà de tout opportunisme, saisir les différentes particularités de la modernité pour en jouer au travers du cinéma. Bien avant Tarantino et son Kill Bill, notre homme, dans Full Time Killer, avait exercé sa compréhension d'un cinéma qui se reconnaît en train de se faire tout en flattant notre patrimoine (de vidéophile, pour faire vite). Avec Breaking News, il prolonge sa démonstration sur des images désormais systématiquement liées à une question de situation et de position. Des points de vues, des espaces d'où on se regarde mutuellement, les flics et mafieux de Breaking News se réduisent à cela. Jouant avec leurs webcams, leurs caméras vidéo et leurs téléphones portables, ils s'amusent à être plus faux que nature. Dans un monde qui n'est plus qu'un enjeu d'images, chacun sait manipuler l'autre. Tout l'univers de To, ou presque, est là, dans cette vie qui se résume à un jeu, une vie où le cinéma est le plus beau et le plus tragique des jouets.Johnny To offre là en toute honnêteté, en parfait faiseur d'images toujours aussi calibrées (malgré une photo bien terne), un cinéma qui, entre jouissance et conscience de soi, propose une place encore à prendre. Il a compris que par l'adoption d'une forme stricte peut s'épanouir une essence des choses qui, dans son imitation excessive, deviendra un objet autonome. C'est là tout le talent des imitateurs, leurs créations sont parfois meilleures que l'original.Breaking News
Un film de Johnnie To
Hong-Kong, 2004
Durée : 1h40
Avec Kelly Chen, Richie Ren, Nick Cheung, Simon Yam, Lam Suet...
Sortie salles France : 20 avril 2005[Illustrations : Breaking News. Photos © Pathé Distribution]
- Lire la chronique de The Mission (Johnnie To, 1999)
- Lire la chronique du DVD Yesterday Once More (Johnnie To, 2004)
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