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Huit ans après Les Triplettes de Belleville, Sylvain Chomet décide de rendre hommage à Jacques Tati. Basé sur un scénario du cinéaste, on y suit un vieux magicien confronté aux changements de son époque (l’arrivée du rock). Pour Chomet, c'est le moyen de payer son dû à l'artiste qui l'a le plus influencé, mais c'est surtout une manière d'opposer deux formes de cinéma. Le dialogue quasi inexistant, la prédominance de la musique et du geste, la lenteur du récit rendent hommage au burlesque. A contrario de ce que l’animation et l’émergence de la 3D nous propose aujourd'hui (esthétique flashy, au scénario et au cut soi-disant incisif). Du coup, si on redécouvre le Tati de Mon Oncle ou de Monsieur Hulot, c'est surtout une autre forme de cinéma que réinvente Chomet, un art de la poésie et de la tendresse.
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Réalisé avec la bénédiction des gardiens du temple (feu Sophie Tatischeff et Jérôme Deschamps), L’Illusionniste réussit le prodige d’être à la fois du pur Tati et du Chomet garanti : le sens du détail et du cadre de l’un, des seconds rôles borderline et des récits initiatiques de l’autre. Sans compter une attirance commune pour le cinéma muet, pour une forme d’aboutissement esthétique et pour des mélodies accrocheuses. Tout pour plaire, me direz-vous ? Oui, sauf que la minceur et la désuétude de l’intrigue (rien d’inattendu) finissent par devenir une source de frustration, presque d’ennui.
Toutes les critiques de L'illusionniste
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Tout est beau dans ce dessin animé : sa genèse d’abord, une histoire écrite par Jacques Tati entre 1956 et 1959 et jamais tournée ; l’hommage plein de charme et de nostalgie au music hall et à ses vieux artistes; la tendresse qui unit le magicien et son chapeau fou, une Alice passée de l’autre côté du miroir et un lapin blanc hargneux ; et enfin la joie de retrouver JacquesTati, sa gestuelle, ses postures virevoltantes, ses gestes esquissés, ses hésitations. Un Tati confronté, comme Monsieur Hulot, aux bouleversements d’une époque qui voit naître la télévision et des groupes de rock hystériques. La patte de Sylvain Chomet s’expose dans les décors et les personnages secondaires - un clown, un ventriloque, un poivrot en kilt- , Pas de dialogues, peu de mots, une jolie musique (signée du réalisateur), de la poésie, de la tendresse, un travail graphique magnifique : on adore !
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Toute la fantaisie, l'humanité, l'humour, la poésie, la délicatesse et l'intelligence du créateur de Monsieur Hulot illuminent chaque plan composé par ce véritable orfèvre du dessin. Tati-Chomet : doublette magique.
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par Yann Lebecque
Des illusionnistes armés par leur volonté de nous charmer, de nous emporter en nous faisant croire que tout cela durera pour toujours, et qu'il suffit pour cela de garder son âme d'enfant. On ne peut que saluer l'immense talent de Sylvain Chomet et son talent unique pour donner une âme à ses traits de crayons.
Un monde en déshérence, traduit par une animation 2D noyée dans des couleurs automnales. Mas aussi la fin d'un cinéma enchanteur dont l'épitaphe est prononcée par L'Illusionniste : "Magicians do not exist".
(...) L’Illusioniste reste doublement confit dans le passé et une sorte de nostalgie du “tout a foutu le camp” : il raconte la fin d’un monde, celui du music-hall, mais le “nouveau” monde du rock qui lui succède est lui aussi déjà très ancien. L’Illusioniste prouve que Sylvain Chomet a du talent. On aimerait qu’il ferme un temps son rétroviseur et mette enfin ce talent au service du contemporain.
(...) L'Illusionniste, merveille de poésie sur la rencontre d'un vieux magicien et d'une ado naïve aux rêves de princesse. Les univers des deux réalisateurs s'entremêlent en un mélange homogène de burlesque, de tendresse et de nostalgie sur fond d'avènement du rock‘n‘roll. Cette fable aux teintes chaleureuses et aux mélodies entraînantes joue sa douce musique loin du bruit et de la fureur de la production actuelle. Avec son dessin traditionnel en 2D, Chomet s'est fondu dans l'univers de Tati au point de faire croire à un inédit du maître, pourtant transposé. Il a su reproduire la gestuelle si caractéristique de celui qui incarnait Monsieur Hulot. Et user du même sens de la mise en scène avec une bande-son où bruitages et musique remplacent avantageusement les dialogues.
On retrouve cependant l'humour grinçant des Triplettes au coin d'un décor ou de silhouettes empruntant à l'univers de la caricature. Le héros lui-même, entre Tati et Chomet avec son allure dégingandée, est à l'image d'une création bicéphale totalement maîtrisée.
Sept ans après le succès des « Triplettes de Belleville », Sylvain Chomet revient avec un nouvel ovni animé, adaptation d’un scénario de Jacques Tati.
Son héros emprunte à la fois son nom, son physique et sans doute un peu de son âme au créateur de Monsieur Hulot. Avec son refus du gag « efficace », le film s’adresse davantage aux adultes qu’aux enfants et se révèle un enchantement visuel doublé d’une histoire d’amour filial aussi délicate que mélancolique.
L'Illusionniste retrace en quelque sorte la vie d'un Tati qui connut le chômage et le ventre creux, fut contraint de décrocher des contrats à l'étranger, entre autres pour Parade (1974), où il rendait hommage au cirque. Un monde se meurt, qui voit le clown tenté par le suicide, le ventriloque vendre sa marionnette et finir comme un clochard, les trapézistes se reconvertir en peintres en bâtiment. Disparition d'un art, récupéré par la publicité, la société de consommation. Constat mélancolique que s'approprie sans doute Sylvain Chomet, adepte d'un style poétique n'ayant nul besoin du recours à la 3D.
Cet Illusionniste est aussi tendre et contemplatif que les Triplettes étaient bouffonnes et inquiétantes. Mais on retrouve le regard oblique, le talent si particulier de Sylvain Chomet. Son tracé ébouriffé croque un personnage pittoresque en quelques mouvements : trognes des piliers de bar, dégaine du manager engoncé dans son costume à la mode, gestes fatigués d'un vieil artiste à bout de souffle. Surtout, le réalisateur a gardé son amour narquois pour tout un bric-à-brac rétro : vieilles guimbardes, devantures patinées et maisons de guingois. Ce monde d'hier flotte entre réalisme et poésie. Une brocante magique, patiemment « restaurée » à la main. Sylvain Chomet croit encore à l'ancienne magie, celle des lapins dans les chapeaux et des pinceaux sur les feuilles.
Baigné dans une mélancolie certaine, le film a surtout le mérite de ressusciter la grande et belle silhouette de Jacques Tati. Elle traverse son film avec une élégance quasi poétique et cette légère raideur comique, qui l'a rendue inoubliable. Voilà qui n'est pas le moindre des tours de passe-passe de Sylvain Chomet.
Le personnage principal prend les traits de Jacques Tati : on reconnaît la silhouette longiligne et maladroite immortalisée par le réalisateur avec son personnage de Mr Hulot, grand échalas lunaire dont le centre de gravité le pousse irrémédiablement vers de nouvelles catastrophes, de nouveaux gags. Chomet connaît bien son Tati, et le récite ici un peu trop poliment, en bon garçon, par le biais de l'animation : on se souvient que les Triplettes regardaient Jour de fête dans leur lit, cette fois l'illusionniste entre dans un cinéma où se joue Mon oncle. Les clins d'œil se multiplient, balisant ce conte joliment illustré en plans larges, imperturbable mais trop inerte et nostalgique pour dépasser l'hommage de l'élève au maître.
Une épée du rayon animation, donc. Qui s'émousse quand Chomet se laisse submerger par la mélancolie de Tati, livrant plus un hommage au maître qu'une adaptation personnelle. Néanmoins, cela reste de la belle ouvrage, au graphisme irréprochable et pourvue de quelques séquences épatantes (à base de lapin carnivore et de ragoût...). On en aurait aimé un peu plus, voilà tout.
Nostalgique à souhait, le film risque précisément de verser dans l’hommage permanent ; conscient que son univers n’est pas tout à fait identique, dans l’esprit et l’expression, à celui de Tati, Sylvain Chomet semble pourtant à tout moment inquiet de s’éloigner un peu trop de son modèle, quand on aurait souhaité davantage de liberté et peut-être de folie. Il est vrai que l’animation demeure d’une grande qualité tout le long du film, en particulier grâce au personnage de l’illusionniste, confondant de mimétisme face à son double réel, qu’il rencontre inopinément dans une scène par ailleurs assez révélatrice de la gêne qu’éprouve le film à se détacher de Tati. Confronté au vrai Jacques de Mon oncle, la silhouette animée est à la fois fascinée et effrayée, finissant par prendre ses jambes à son cou. Mais surtout, à force d’épure et de simplicité, le récit perd le souffle de magie qu’il prétendait créer : ce qui est gênant, ce n’est pas tant sa prédictibilité que la tournure un peu niaise qu’il prend tout à coup, quand le film tourne malgré lui à la fable morale sur les grands thèmes de la solitude, de l’adolescence et de la société de consommation. Le regard que portait Tati sur les transformations de la vie moderne, avant d’être critique ou moqueur, était avant tout libre : le regret qui peut nous saisir à la vision de L’illusionniste, c’est que Sylvain Chomet, pour glisser ses pas dans ceux du maître, ait plutôt choisi de couper ses propres ailes.