Première
par Thierry Chèze
Ce fut l’une des belles surprises de ce Festival de Cannes 2019 qui restera décidément un millésime d’exception. Pourtant, sur le papier, ce premier long métrage américain avait tout du parfait petit fayot qui cochait deux cases, rendant sa sélection inévitable. Il s’ouvre sur les pentes du col de Vence, non loin de Cannes, ce qui en fait de facto une sorte de régional de l’étape. Ses deux personnages principaux s’emploient à les gravir à vélo, péché mignon du patron de la sélection, Thierry Frémaux ! On ne sait à quelle hauteur ces deux atouts majeurs ont contribué à la présence de The Climb dans la section Un certain regard, mais le choix s’est révélé particulièrement judicieux. Un de ces moments de détente sans prétention qui font toujours du bien au cœur d’une sélection très intense où résonnent tous les malheurs de notre planète. Le réalisateur Michael Angelo Covino (qu’on retrouve aussi devant la caméra avec Kyle Marvin, son ami de dix ans dans la « vraie » vie) dit s’être beaucoup inspiré du cinéma français pour ce premier long et cite d’ailleurs à l’écran le trop peu connu Le Grand Amour de Pierre Étaix, projeté dans un cinéma. Mais c’est aussi à Woody Allen qu’on pense au fil de cette bromance où humour et sensibilité font bon ménage. Notamment dans ces dialogues bien sentis que s’envoient à la figure ses deux personnages principaux, Mike et Kyle.
SORTIES DE ROUTE.
Deux amis d’enfance unis par un lien indéfectible jusqu’à ce que le premier annonce au second qu’il a couché avec sa future femme (une Française campée par Judith Godrèche). Cette scène d’ouverture – où les deux personnages escaladent en danseuse le col de Vence – donne le ton du film. Avec The Climb, Michael Angelo Covino va, à partir de là, explorer les méandres de l’amitié dans un mélange permanent de gravité et d’éclats de rire ; et arpenter des chemins balisés en multipliant joyeusement les sorties de route. En montrant, belle idée, la toxicité que peut avoir une amitié trop forte quand l’un essaie de faire le bonheur de l’autre à tout prix, y compris en écartant les femmes avec qui ce dernier veut se mettre en couple au motif qu’elles ne seraient pas assez bien pour lui.
COMPLICITÉ SINUSOÏDALE
Alors certes le récit souffre de temps à autre de trous d’air. Mais l’essentiel est ailleurs. Dans la qualité d’interprétation irréprochable du tandem Covino-Marvin. Et plus encore dans l’aisance avec laquelle Covino évolue dans l’art du tragicomique de situation et pimente ses scènes de dîner familial de saillies bien vachardes contre une future mariée, vue comme l’ennemie. Le tout sans céder à la moindre facilité misogyne, mais en donnant à l’inverse une vraie place pleine de nuances à la nouvelle élue du cœur de Kyle (Gayle Rankin, géniale), jamais réduite au seul rang d’empêcheuse de tourner en rond. Il n’y a aucun cynisme facile chez Michael Angelo Covino, aucun jeu de massacre puérilement jouissif. En racontant en sept segments disséminés sur plusieurs années la complicité sinusoïdale entre ses deux héros, Covino ne fait que puiser dans leurs failles, toucher pile là où ça fait mal pour distiller indifféremment rires, cris ou larmes. Et parfois, les trois de concert ! Le tout raconté en images par une utilisation jamais gadget de longs et beaux plans-séquences qui permettent justement de pénétrer au plus profond de ses personnages. Rien ici n’est gratuit. Tout est pensé sans pour autant basculer dans la seule cérébralité. Bref, une comédie comme on les aime et comme on n’a finalement pas si souvent l’occasion d’en voir. Récompensée en mai 2019 du Coup de cœur du jury d’Un certain regard, The Climb a pris son temps pour surgir dans les salles françaises. Raison de plus pour s’y précipiter.