Eric Gautier est un des plus grands chefs opérateurs français. Il a travaillé avec Alain Resnais, Ang Lee, Olivier Assayas ou Walter Salles et vient d'illuminer Grace de Monaco. Il nous donne, à travers sa propre expérience, sa version des histoires et des polémiques qui entourent l'avant-première cannoise du film d'Olivier Dahan. Il revient surtout sur le tour de force artistique que représente le film.Comment vous-êtes vous retrouvé sur ce projet ?Eric Gautier : Il y a 20 ans, j’ai participé à la série de téléfilms pour Arte Tous les garçons et les filles de leur âge. J'ai collaboré avec Patricia Mazuy sur son film Travolta et moi. Et, pour cette collection, Olivier Dahan venait de réaliser son premier film, Frères. On s'est croisés et j’ai depuis constamment suivi son travail que je trouve particulièrement intéressant. Il m’avait déjà proposé de participer à La Môme mais à ce moment-là, je ne pouvais pas car je tournais déjà avec Chéreau ou Desplechin, je ne sais plus. Et quand il m’a contacté pour ce projet-là, on s’est vus et il m’a convaincu tout de suite. Ce n'était pas une mince affaire : Monaco n'est pas forcément un sujet qui m'intéresse. Et j'avais des réserves sur le choix de Nicole Kidman. J’étais fou d’elle à ses débuts, mais depuis quelques années, elle ne se ressemblait plus, son visage avait trop changé. Olivier a pourtant su trouver les mots justes. Et quand j’ai vu Nicole pour la première fois, je l’ai trouvé réellement magnifique. Elle a arrêté toutes les opérations et a retrouvé son visage sublime. Depuis ses débuts, le film a été entaché par de nombreuses polémiques. Le tournage a-t-il été compliqué ? Pas du tout. C’est la famille monégasque elle-même qui nous a autorisés à tourner à Monaco. Quand on a fait la préparation à l’été 2012, on a fait beaucoup de repérages et nous avons même visité les appartements privés. On a ainsi pu se rendre compte de ce qu’était Monaco. Ils nous ont vraiment ouvert leurs portes. Après, ils ont demandé quelques changements dans le scénario. Il y a eu un début de conflit, mais trois fois rien. La vérité, c’est qu’ils ne peuvent pas être d’accord avec ce film. Soyons clairs : ce n’est pas un biopic. Il ne faut pas croire les rumeurs colportées à droite et à gauche par les médias. Le film se concentre sur l’année 1962 et sur un épisode très précis qui représente le paroxysme des tensions de ce royaume déchiré de l’intérieur. Grace est basé à 80% sur des faits réels, qui ont une dimension shakespearienne et c’est ça qui intéressait Olivier. Lui, ce qu’il veut faire, c’est du cinéma. Pas raconter la vérité à la lettre. Ce n’est pas un historien et ce n’est pas un documentariste. La preuve, on a beaucoup tourné en studios, il a beaucoup stylisé le film pour faire référence aux années 50-60 et aux films d’Hitchcock de cette époque. Mais on lui a reproché des choses qui étaient fausses.Comme...Les gens n’ont pas vu le film et fantasment beaucoup ! Par rapport à la famille royale, c’était évident qu’elle ne pouvait pas approuver. Grace raconte un épisode bien trop douloureux de leur histoire puisque le contexte du film, c'est le conflit qui a opposé Rainier et de Gaulle. Or la sœur de Rainier l’a trahi à ce moment-là en s'alliant à de Gaulle afin de prendre sa place. Cet épisode avait profondément divisé la famille. Et ce n'est que maintenant que les plaies se referment lentement. C’est logique qu’ils ne souhaitent pas en entendre parler. Toute cette partie-là dans le film est vraie, documentée. Evidemment, c’est un peu romancé, car le but d’Olivier était de prendre des faits réels pour en faire un conte. Un conte qui s’intéresserait à une petite Américaine avec ses rêves hollywoodiens qui tombe amoureuse de Rainier et de la Côte d’Azur. Une petite Américaine qui, quand elle veut repartir, est finalement prise au piège. Bien sûr que ses enfants ne peuvent pas admettre qu’elle ait sacrifié sa carrière pour eux. Si elle avait pu repartir, elle aurait été une immense actrice. Là, techniquement, elle n’a fait que dix films avec des petits rôles. Il n'y a pas que Rainier... L’autre personne qui semble avoir quelques soucis avec le film, c’est Harvey Weinstein...Le film a été vendu très vite dans le monde entier, et il va sortir partout. Le problème, c’est les Etats-Unis. Harvey Weinstein, qui a vu le premier montage du film et a été ébloui par Kidman, a acheté le film. Il a tout de suite voulu le sortir en premier aux U.S, fin novembre, afin de se placer dans la course aux Oscars. C'était surtout pour elle, en fait, car il sentait qu’elle avait un potentiel incroyable. Et le fait qu’il le sorte le film en premier sur le territoire US donnait un peu la sensation que le film était américain alors qu’il est essentiellement produit par la France avec quelques capitaux étatsuniens. Ça a été tout de suite un problème pour Olivier. Il tient fermement à ce qu’on reconnaisse Grace de Monaco comme un film français, même s’il est tourné en anglais. C’est là que Weinstein a commencé à faire du chantage et à réclamer un nouveau montage car, selon lui, c’était trop compliqué pour le public américain. C'est un argument amusant parce que, honnêtement, n’importe quel Hitchcock est bien plus compliqué que Grace de Monaco. Mais Weinstein voulait en faire un film à l’eau de rose où Grace se sacrifiait par amour. Et ça, Olivier ne pouvait pas le supporter. Il l’a laissé faire son montage mais quand il a vu le résultat, il a été horrifié tellement c’était insipide. Lui, ce qui l’intéresse c’est l’aspect ambigu de la situation et du personnage. Nicole Kidman aussi, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle a voulu faire le film. Et c’est là où Dahan a été, à mes yeux, héroïque : il a dit non à Weinstein. Ce qui a créé un gros clash qui continue encore aujourd’hui. Je ne sais pas où ça en est aujourd’hui [NDLR : l'interview a été réalisée le 8 mai] mais je sais juste que c’est actuellement en discussion. Vous avez l’air très enthousiaste au sujet de Nicole Kidman, pourtant beaucoup de gens ont critiqué ce choix, la jugeant trop vieille pour le rôle… Elle a environ 10 ans de plus que Grace Kelly à l'époque des faits. Sauf que quand on regarde les images de 1962, la Princesse fait largement 10 ans de plus car c’est un peu le début de la fin pour elle. Son rêve en vrai, c’était Hollywood, le cinéma. Et même si elle a voulu être princesse, elle avait la sensation d’être passé à côté de son rêve, mais elle ne pouvait plus s’échapper. Et puis, certes, Nicole Kidman est plus âgée mais c’est aussi le travail du maquillage et des lumières de la rajeunir, et ça, j’en suis assez fier. Et n'oubliez pas qu'Olivier cherchait à faire un conte, une histoire romancée de Grace Kelly. Il ne cherchait pas la ressemblance absolue. Parfois, il lui demandait d’agir comme elle, d’être au plus proche de Grace, mais le reste du temps, il lui demandait juste d’être elle. Elle n’est pas Grace Kelly à la lettre, c’est une vision, un point de vue sur Grace. Je répète : ça ne cherche pas à être complètement réaliste. Et en l'engageant, Olivier choisissait une comédienne qui a une aura allant au-delà de son simple talent. Il voulait une star, une icône pour en interpréter une autre. Je sais que Charlize Theron était sur le coup, mais Nicole Kidman, c’est quand même autre chose. D’ailleurs, elle n’est pas stupide : si elle a tant insisté pour faire le film, c’est parce qu’elle sait que c’est un grand rôle qui pourrait la faire revenir au top. Sincèrement, elle est incroyable en Grace, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vue aussi bien. Est-ce qu’il y a une appréhension par rapport à la présentation cannoise ?Je serai là, alors que je ne le fais jamais, pour soutenir Olivier à la conférence de presse. Il y a des choses à mettre au clair et je crois que je peux filer un coup de main. En plus, je suis fier de ce film. Sinon concernant la pression, on sait depuis le début de l’année qu’on sera à Cannes. Il faut préciser que Thierry Frémaux a vu le film 4 fois quand même. Il l'aime vraiment. Mais c’était assez clair qu’on se retrouverait en ouverture si on y allait car Olivier ne voulait pas aller en compétition et Frémaux voulait le mettre en avant. Et puis je crois que c’est une sorte d’anniversaire : si je ne me trompe pas, ça fait 10 ans qu’un film français n’a pas fait l’ouverture de Cannes. Et pour Olivier, par rapport à son combat contre Weinstein, c’est une bataille de plus à remporter. Il affirme encore plus fort que c’est un film français avant tout. Vous découvrirez bien le montage d’Olivier. C’est vraiment un type courageux. Je connais peu de réalisateurs qui se serait opposés à Weinstein. Si je vous raconte ça, c'est pour dire qu’Olivier s’est vraiment retrouvé seul. Mais c’est un teigneux. Et il a tenu tête face à la violence de l’argent et à la violence du monde du cinéma. Franchement, chapeau. Propos recueillis par Perrine QuennessonBande-annonce de Grace de Monaco, sortie le 14 mai :
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