At Eternity's Gate
Netflix

Le film de Julian Schnabel, primé à Venise et nommé aux Oscars, arrive en France directement sur Netflix.

Peut-on regarder un film sur Van Gogh sans avoir constamment en surimpression le souvenir du monument de Pialat ? Ça paraît compliqué a priori, mais At Eternity’s Gate a le mérite de démontrer que oui, en fait, c’est possible… Se concentrant, comme son prédécesseur, sur les derniers moments de la vie du peintre, le film de Julian Schnabel inquiète un peu en cédant dans un premier temps aux plus atroces conventions du biopic : les habitants d’Arles parlent un anglais parfait, les caméos défilent (Emmanuelle Seigner, Vincent Perez, Mathieu Amalric, Niels Arestrup…), les indices biographiques sont adressés avec de gros clins d’œil ("Go south, Vincent !", conseille Oscar "Paul Gaugin" Isaac)… Puis on comprend que Schnabel, une fois ce cadre posé, va en réalité chercher à faire ce que les biopics d’artistes n’essaient pratiquement jamais, à force de s’abriter derrière l’histoire ou la psychologie : raconter l’illumination, l’éclair de génie, le moment où frappe l’inspiration. Puis donner à voir l’acte créatif lui-même, l’abandon et la fièvre.

La Dernière Tentation de Van Gogh
Concrètement, ça se traduit par une mise en scène toute en caméra portée, qui virevolte autour d’un Van Gogh courant dans la campagne, se roulant dans la terre, admirant un coucher de soleil, s’enivrant de lumière. Schnabel veut traduire la vision du monde semi-hallucinée du génie, sa trop grande clairvoyance, et fait des hypothèses visuelles à coups de plans subjectifs où le monde apparaît distordu, brouillé, aveuglant. Ça paraît prétentieux dit comme ça, mais c’est en réalité tout le contraire : souvent très beau, très simple, profond et touchant. Il faut sans doute soi-même être peintre (comme Schnabel, et comme Pialat aussi d’ailleurs) pour réussir ces scènes sans ridicule. Reconnaissons que la gueule de plus en plus sublime de Willem Dafoe, son humanité déchirante, aident beaucoup. Sa présence encourage Schnabel à tracer un parallèle entre Van Gogh et le Christ, que l'acteur jouait chez Scorsese il y a trente ans : en compagnie d’un prêtre (Mads Mikkelsen), Van Gogh s’interroge sur l’indifférence des contemporains de Jésus à sa parole, et comment celle-ci a pourtant fini par résonner dans l’éternité. Film d’un peintre qui aura passé sa vie de cinéaste à raconter les destin fracassés d’artistes maudits, de Basquiat à Reinaldo Arenas, At Eternity’s Gate entend humblement propager le mythe du premier d’entre eux. C’est l’Evangile selon Julian.

At Eternity's Gate, de Julian Schnabel, avec Willem Dafoe, Oscar Isaac... Sur Netflix.