Rencontre avec la star du nouveau film de David Fincher.
Dimanche 10 Aout. Ben Affleck, en plein tournage de Batman V Superman, accepte de nous parler pendant son jour de congé. « Même Batman prend des jours off », plaisante Ben.
Vous avez vingt secondes pour nous parler de Gone Girl sans rien dévoiler de l’intrigue… Il y a une certaine poésie, et un peu d’horreur, au cœur de Gone Girl. C’est un film sur les masques que l’on porte au début d’une relation amoureuse, les mensonges qu’on assoit comme vérités lorsqu’on veut se présenter à quelqu’un sous son meilleur jour. Et que se passe-t-il lorsque les masques tombent ? En surface, c’est un thriller à énigmes, rempli de mystères. Mais ce qui bout sous la surface est plus personnel, plus dérangeant : c’est la vision des rapports humains selon David Fincher et Gillian Flynn. Comment on s’aime, comment on se fait du mal…
David Fincher a casté Ben Affleck grâce à Google Images
Coupable mais peut-être pas… Le rôle de Nick est un peu casse-gueule, non ? Il devient l’objet d’une croisade médiatique. Et il n’est pas équipé pour réagir à tout ça… Est-ce une victime ? Un tueur potentiel ? J’ai dû calibrer ma performance pour ne pas guider les spectateurs de façon trop évidente vers une hypothèse ou bien une autre… De sorte que s’ils envisagent une issue différente dans leur tête, ils ne se sentent pas trompés lorsque surgit le mot « Fin ». Et de façon à ne pas rendre le film trop « facile » à comprendre, ce qui serait encore pire… Ce qui est intéressant avec ce personnage, c’est qu’on peut être à la fois coupable de quelque chose et victime de l’acharnement des médias. Il n’y a pas de discrimination chez les médias, juste un appétit vorace pour les histoires sordides et sensationnelles. Vous pouvez dire quelque chose d’horrible et vous retrouver injustement harcelé. Vous pouvez ne rien dire du tout, et vous retrouver encore plus injustement harcelé… Nick est mis à mal par cette machine incandescente, impersonnelle et insensible, poursuivi par ce monstre à un œil.
Supercut : l'art du très gros plan chez David Fincher
Et là, vous parlez d’expérience ? C’est encore pire aujourd’hui qu’à mon époque pour des jeunes acteurs de 20-22 ans. Avec Twitter, Instagram et cie, tout s’accélère. On exige désormais de connaître leur actualité à la minute près… Résultat : très vite, ils n’ont plus grand chose à dire et doivent inventer de nouveaux trucs pour faire tourner la machine. Quand je me retrouvais harcelé dans ma vie privée, au plus haut de mes relations conflictuelles avec les médias, au moins on ne me faisait chier qu’une fois par semaine ! Les tabloïds ne sortaient que quatre fois par mois, il n’y avait pas Twitter et le reste… Je plains la jeune génération à Hollywood qui doit se farcir toutes ces conneries.
Les derniers films de Fincher traitent tous l’idée de l’homme en tant qu’animal social… David est obsédé par le thème du narcissisme. Je crois que c’est le trait de caractère qu’il déteste le plus chez les autres. C’est très personnel, quelque chose qui lui tient à cœur, probablement lié à sa propre existence. Il déteste ça. Dans ses films, les narcissiques connaissent toujours le sort le moins enviable. Si un personnage s’aime d’un peu trop près dans un film de Fincher, vous pouvez être sûrs que ça va mal tourner pour lui…
David Fincher, un réalisateur obsédé par les frigos
Comment ça s’est passé, avec Fincher ? David est l’un des grands maîtres du cinéma. Le mec le plus compétent et le plus adroit que j’ai eu l’honneur de regarder travailler. En tant que cinéaste, on ne travaille pas du tout de la même manière, et j’ai bien sûr essayé d’apprendre le plus possible. C’est aussi l’un des hommes les plus intelligents et intéressants que j’ai jamais rencontré ; devenir son ami est l’un des plus beaux cadeaux que m’a offert ce film. Il a suffisamment confiance en lui pour accepter la compagnie de ceux qui sont d’accord avec lui comme de ceux qui ne le sont pas. A travers ses films, il se lance dans une quête intime pour dénicher notre vraie nature, souvent sombre et déplaisante.
Rosamund Pike nous a parlé de l’attention toute particulière, maniaque, qu’il porte au langage du corps à l’écran… Il filme de manière très spécifique et formelle, avec la notion que le spectateur est censé observer le moindre détail à l’image et recevoir le film dans son subconscient. Comme chez Kubrick, une grande attention est portée à chaque plan, chaque moment. Il est extrêmement précis sur les émotions qu’il veut faire ressentir au spectateur. La physicalité, la manière dont un personnage se déplace dans le champ de la caméra, est primordiale, et très souvent la raison pour laquelle il s’autorise autant de prises par scène. Il était très rigoureux, limite fastidieux, concernant le poids de Rosamund, comme s’il pouvait deviner si elle avait pris ou perdu des grammes uniquement en regardant sa silhouette passer dans le moniteur… Pour ma part, j’ai eu quelques directives au millimètre. « Tu ne peux pas cligner de l’œil quand tu dis ce mot » ou « Remonte tes épaules à ce moment-là »… Je n’étais pas toujours d’accord avec ce qu’il trouvait nécessaire, mais je m’y suis plié avec joie parce que je lui fais une confiance aveugle.
Quelle leçon apprise à son contact mettrez-vous en application sur votre prochain film de metteur en scène ? J’essaye d’apprendre de tous les réalisateurs avec qui je travaille. Ce qui m’a le plus impressionné chez David – et ça va peut-être sonner comme un cliché -, c’est qu’il n’accepte pas qu’on lui dise « non ». Vous entendez ça en permanence quand vous faites un film : « Non, on peut pas se le payer ; non, on ne peut pas utiliser ce décor ; non, on n’a pas assez de figurants… ». Il a cette détermination, cette force tranquille, qui fait comprendre à toute l’équipe que « c’est comme ça et puis c’est tout ». Il exige beaucoup des gens qui travaillent pour lui. Et parce qu’il bosse plus dur que n’importe qui sur le film, parce qu’il arrive en premier et qu’il repart en dernier, parce qu’il pourrait théoriquement faire le job de toutes les personnes présentes sur le plateau… tout le monde a à cœur de se défoncer pour lui. J’imagine que je serai plus exigeant et insistant sur mon prochain film.
Fincher a paraît-il essayé de vous dissuader d’accepter le rôle, prétextant que ça allait faire du mal à votre statut de « leading man »… Oui, il avait peur que je torpille ma carrière avec ce rôle… Au-delà de la blague, la première fois que je me suis assis en face de lui pour parler du film, il m’a expliqué que pour que ça fonctionne, mon personnage devait explorer le versant mou et caché de la masculinité. L’homme à son plus faible, à son plus vulnérable. Toutes ces choses dont on a honte et qu’on dissimule aux autres. J’ai tout de suite adoré l’idée parce que je ne peux plus encadrer la convention qui veut que le leading man soit le mec le plus futé dans la pièce et qu’il ait réponse à toutes les questions. Avant même que le film commence, sa marge de manœuvre et son comportement sont irrémédiablement limités par la sympathie qu’il est censé inspirer. Alors que si vous avez un personnage qui est le héros du film sans être un parangon de vertu, il n’y a plus de règles ! Qui sait ce que ce type pourrait faire ou dire la seconde d’après ?
Gone Girl : le fantasme de cinéma de David Fincher
Vous avez essayé d’être une star, ça n’a pas marché mais vous en êtes revenu pour vous imposer en tant que cinéaste. Puis vous décidez de vous faire émasculer par Fincher dans Gone Girl, et puis tiens, pourquoi pas, de jouer Batman… Vous êtes maso ? L’un des bénéfices de l’âge, l’avantage d’avoir déjà fait un tour de rodéo, est que je sais maintenant ce qui est important pour moi, et ce qui ne l’est pas. En tant qu’acteur, je veux me mettre à l’épreuve, exploser les coutures. Je ne veux pas d’une carrière où je pointe et où je joue toujours la même personne. Gone Girl est un film risqué, et il ne pourrait pas être plus différent du film d’avant ou de Batman V Superman, que je tourne actuellement. C’est ce qui me tient vivant et à l’affût. Je travaille dur, aussi dur que lorsque je suis derrière la caméra, et j’ai cette même impression de marcher en équilibre sur un fil. Une bonne sensation… Ce qui est important, c’est ce que je veux faire de moi, plutôt qu’essayer de correspondre à une idée de ce que les autres attendent de moi. Personne ne m’a demandé de réaliser des films, mais je suis content que le public m’ait suivi dans cette voie. Et, comme vous avez certainement pu vous en apercevoir, personne ne m’a demandé d’être Batman…
Interview Benjamin Rozovas
Gone Girl de David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris et Tyler Perry sort le 8 octobre dans les salles.
Et retrouvez Gone Girl et notre dossier spécial David Fincher en couverture de Première, actuellement dans les kiosques.
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