Claude Lelouch présente hors-compétition Les plus belles années d'une vie, suite à Un homme et une femme, cinquante-trois ans après. En retrouvant l’inoubliable tandem Jean-Louis Trintignant/Anouk Aimée, il signe son plus grand film depuis près de vingt ans.
On en aurait voulu à Claude Lelouch de rater ce rendez-vous, de gâcher son film mythique. On ne lui aurait surtout pas pardonné d’offrir à Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée des rôles médiocres pour ce qui sera sûrement l’une de leurs dernières apparitions au cinéma. Lelouch risquait donc gros en se lançant dans la suite d’Un homme et une femme, cinquante-trois ans après son triomphe cannois et international. Il s’était déjà frotté à l’exercice en 1986 : Un homme et une femme : vingt ans déjà était brouillon, entre courses de voitures et coulisses du cinéma, les personnages bien trop nombreux... Bref, les retrouvailles de Jean-Louis Duroc et Anne Gauthier avaient gardé un goût amer d’inachevé. Totalement conscient de cette situation, le réalisateur efface cette tentative ratée et reprend leur histoire comme s’ils ne s’étaient pas revus depuis un demi-siècle. Les plus belles années d'une vie s’ouvre par une vision déconcertante : Jean-Louis Trintignant au milieu d’un groupe de personnes âgées, l’œil perdu, vissé sur un fauteuil roulant, incapable de répondre au quiz historique proposé par le médecin (Marianne Denicourt). Jean-Louis Duroc, l’ancien coureur automobile, a été ravagé par le temps. Il perd la mémoire et son fils (Antoine Sire, l’interprète du petit garçon en 1966) a pris la décision de le mettre dans une institution spécialisée. Il n’y a qu’une seule chose dont il parle : c’est l’amour d’une femme prénommée Anne. Son meilleur souvenir. Le fils la retrouve en Normandie. Le reste du film s’articule essentiellement autour de leurs entrevues. Un homme et une femme face à face pour faire le bilan d’une vie.
LELOUCH STORY.
Comment ne pas être submergé d’émotion en revoyant ces personnages ? La simplicité de leurs échanges, leur fébrilité placent d’emblée le film dans la lignée des Lelouch les plus émouvants. On se régale de cet art du dialogue improvisé cher au cinéaste, avec une absence d’artifices qui se retrouve dans la manière dont il filme au plus près les visages de ses interprètes. La fragilité physique de Jean-Louis Trintignant envahit ainsi le cadre, montrant la vieillesse qui a mordu ses traits. Avant qu’un instant plus tard, on se retrouve saisi par la beauté de son sourire qui vient nous renverser tout comme sa voix grave et légère, inégalable et inégalée. Face à lui, Anouk Aimée irradie, toujours aussi belle, comme si le temps l’avait, au contraire, oubliée. Anne écoute Jean-Louis, comme elle l’écoutait cinquante ans plus tôt. Et bien qu’elle se confie peu, ses yeux trahissent une véritable tendresse pour son ancien amour.
LA VIE ET RIEN D’AUTRE.
La force des Plus Belles Années d’une vie est de réussir à jouer aussi brillamment avec deux tem- poralités, 1966 et 2019, dans un film elliptique. Claude Lelouch mêle habilement les extraits d’Un homme et une femme aux images contemporaines en grand prestidigitateur du cinéma qu’il adore être. Il ose même intégrer à l’intrigue son court métrage tourné en 1976, C’était un rendez- vous, dans lequel il réalisait une traversée de Paris à plus de 100km/h. D’exploit, ce plan séquence se révèle aujourd’hui comme un adieu à la vitesse, futile vanité de la jeunesse. Qu’est-ce qui vaut la peine d’être vécu ? Voilà la question essentielle que pose le film qui apparaît comme une œuvre à la fois testamentaire et pleine d’espoir. Malgré la violence de la critique, en dépit de ratages flamboyants, Claude Lelouch reste un réalisateur majeur par sa liberté de ton, sa quête d’authenticité dans le jeu des acteurs, son lyrisme et son style immédiatement identifiable. Par une passion jamais abîmée pour le 7e art qui le conduit, à 81 ans, à signer l’un des sommets de sa carrière.
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