Un récit d’émancipation féminine au cœur d’un village sénégalais traditionaliste. Pour son premier long, Ramata Toulaye- Sy réussit ses débuts dans la compétition
C’est une place convoitée mais à double tranchant. Être invité dans la compétition cannoise pour son premier long métrage peut évidemment vous propulser au firmament (Ladj Ly et ses Misérables, Prix du Jury en 2019 ou bien évidemment Steven Soderbergh palmé avec Sexe, mensonges et vidéo en 1989) mais aussi vous faire passer en un clin d’œil du sommet à l’oubli (Abu Bakr Shawky, sélectionné avec Yomeddine en 2018, n’a toujours pas développé de deuxième long). Il serait bien présomptueux d’essayer de deviner le sort que réservera le jury de Ruben Östlund à Banel & Adama mais l’impression que dégage son premier film laisse augurer du meilleur pour la suite du parcours de Ramata-Toulaye Sy.
Banel et Adama. Un homme et une femme amoureux au cœur d’un petit village sénégalais aux conventions traditionnelles qui tolèrent mal ce type de passion en son sein et où on s’inquiète plus du fait que ce couple n’ait pas d’enfant au bout d’un an de mariage que de leur bonheur palpable et enivrant à être ensemble. Dans la première partie du film, solaire, aux couleurs vives et chaudes, rien ne semble pouvoir dévier ce couple qui regarde bien à chaque instant ensemble dans la même direction de leur désir d’un pas de côté, de désensabler des maisons ensevelies sous les tempêtes de sable pour en faire leur nid douillet, pas loin du village certes mais hors des murs.
Et puis la pluie va se mettre à manquer, la sècheresse gagner du terrain, les troupeaux dépérir. Et Adama qui avait dit son intention de ne pas devenir le chef de ce village, titre dont il héritait par lien du sang, va être obligé de s’impliquer au détriment de sa relation fusionnelle avec Adama qui, elle, va se battre pour entretenir la flamme. Pour ne pas être réduit au rôle de la "femme de". Pour assumer et revendiquer son désir de ne pas avoir d’enfant. Et si Banel & Adama frappe fort, c’est que par-delà l’histoire d’amour qu’il raconte et le constat d’une Afrique elle aussi percutée gravement par le réchauffement climatique, il s’agit d’abord et avant tout d’un palpitant récit d’émancipation féminine avec des aspirations rarement montrées dans des longs métrages mettant en leur centre des héroïnes d'Afrique noire. Une œuvre pleinement inscrite dans son époque et racontant un mouvement qui dépasse évidemment largement les sociétés occidentales.
L’aspect conte ici choisi – et traduit à l’écran aussi bien à travers par la luminosité enveloppante de la première partie que par la noirceur anxiogène de la seconde (Amine Berrada, à la lumière, fait des petits miracles) – permet de transcender la facilité du film à message. Tout n’y est pas parfait. Quelques longueurs par ici, des affèteries dispensables par là. Mais il y a un désir de cinéma qui transcende tout cela. Et puis une actrice dont on n’est pas près d’oublier le visage. Par son charisme et toute la gamme d’émotions contradictoires qu’il exprime. Elle s’appelle Khady Mane. Et ses débuts à elle non plus ne devraient pas rester sans lendemain.
De Ramata Toulaye- Sy. Avec Khady Mane, Mamadou Diallo, Binta Racine Sy… Durée : 1h27
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