De Cassavetes à Nolan, de Polanski à Spike Lee, on révise nos classiques avant de découvrir le superbe polar rétro (et cinéphile) d’Edward Norton.
Chinatown (Roman Polanski, 1974)
Difficile aujourd’hui de réaliser un néo-noir sans se référer, d’une manière ou d’une autre, au chef-d’œuvre de Roman Polanski. Edward Norton, lui, ne tourne pas autour du pot : Chinatown est clairement dans son viseur, et Lionel Essrog, son personnage de détective souffrant du syndrome de La Tourette, un héritier direct de J.J. Gittes. Mais il y a plus ici qu’un simple hommage au néo-classicisme hollywoodien : une volonté assez radicale de mêler le romantisme à un grand geste politique, qui dissèquerait les magouilles immobilières du New York fifties pour mieux raconter l’Amérique viciée des années 2010. En interview, Norton explique : « Polanski montre que tout ce qui fonde l’Amérique triomphante et ensoleillée est en réalité issu du vol, provient du crime ou de la corruption ». Et il fait la même chose dans son film.
Live by Night (Ben Affleck, 2017)
Un acteur un peu lassé de jouer la comédie qui veut surtout être considéré comme un réalisateur – mais qui s’offre au passage un super rôle. L’adaptation d’un bon polar (Dennis Lehane d’un côté, Jonathan Lethem de l’autre). Une oscillation constante, à l’image, entre postmodernité et classicisme. Une envie manifeste de dialoguer avec les maîtres, John Huston et Raoul Walsh en tête. Et un même studio (Warner) dont le nom ravive à lui seul toute une tradition de privés en feutre mou et de traquenards en costard. De Ben Affleck à Edward Norton, de Live by Night à Brooklyn Affairs, beaucoup de points communs. Et un même combat pour une certaine idée du cinéma américain.
Shadows (John Cassavetes, 1958)
Quel rapport entre le film fondateur du cinéma indépendant new-yorkais et le néo-polar rutilant ouvragé par Edward Norton ? Pas grand-chose stylistiquement parlant, mais l’essentiel en arrière-plan : la ville de New York et, surtout, la partition jazz qui donne au film sa vibration. Brooklyn Affairs n’aurait pas la même énergie sans les décharges de be-bop furibardes qui le rythment et traduisent le chaos mental de l’enquêteur joué par Edward Norton. Au détour d’une scène dans un club de jazz fifties enfumé, on s’attendrait presque à croiser John Cassavetes, venu en repérages…
Memento (Christopher Nolan, 2000)
Dédale mental alambiqué ou enquête tortueuse autour d’un meurtre… C’est un peu la même chose pour Guy Pearce alias Leonard Shelby, détective en herbe amnésique. Et pour Christopher Nolan aussi qui balance cette œuvre malicieusement décousue, histoire de déconstruire la mythologie du Film noir et détrousser le genre mindfuck. Un peu comme si Usual Suspects avait copulé avec Jason Bourne. Le long-métrage antéchronologique de Nolan est à l’image de l’esprit chaotique de Lionel Essrog, héros de Brooklyn Affairs : éclaté, lancinant, nostalgique et enchevêtré comme si un mille-pattes fou avait tricoté la tapisserie de Bayeux.
La 25ème heure (Spike Lee, 2002)
À première vue, pas grand-chose ne rapproche cette œuvre élégiaque post-11 septembre du Film noir so 50’s d’Edward Norton. Et pourtant : tournage speed, New-York crépusculaire, course contre la montre, fatalisme d’un héros fêlé… Edward Norton y interprète Monty Brogan, dealer balancé par un proche, savourant avec amertume sa dernière journée de liberté avant Sing Sing. Comme Lionel Essrog, le privé atteint de La Tourette de Brooklyn Affairs, le voyou balance un chapelet d’insultes dans l’une des scènes les plus mémorables devenant paradoxalement une lettre d’amour incroyable destinée à la Grosse Pomme. 5 minutes de monologue enragé et accessoirement le point d’orgue du meilleur film de Spike Lee.
Brooklyn Affairs sort en salles ce mercredi 4 décembre.
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