L'actrice décédée ce mardi se confiait à Première, en 2018, pour les 50 ans du classique de Sergio Leone.
Rencontre avec Claudia Cardinale, la plus belle femme du monde et du cinéma, LA femme selon Sergio Leone, la putain, la maman, toujours belle, toujours là, sous le soleil de fin d’été, un samedi à Paris, sur les quais de Seine. Autour d’un jus d’abricot, les souvenirs remontent, s’entrechoquent, entre film et réalité. Il était une fois…
Première : Cinquante ans après, quel est le premier souvenir d’Il était une fois dans l’ouest qui vous vient à l’esprit ?
Claudia Cardinale : Eh bien, j’étais la seule femme, là-bas, vous imaginez ! Entourée de tous ces hommes très connus. Vous savez que j’étais très liée à Jason Robards ?
Avant le film ?
Non, là-bas, pendant le tournage ! On était devenus très très amis. Moi, dans le film, j’étais un peu amoureuse de l’autre, comment s’appelait-il déjà… Charlie Bronson. Lui, il était incroyable. Quand on ne tournait pas, il se mettait dehors, à l’écart, et il ne parlait à personne. Il avait toujours une balle, avec laquelle il jouait en permanence, la lançant en l’air (elle fait le geste et rigole). Mais Jason Robards, lui, c’était vraiment devenu un ami. Avant de partir, il m’a donné une petite tape sur les fesses. Vous vous rappelez ?
Vous voulez dire, comme dans le film ?
Dans le film, bien sûr ! On était devenus très proches. On discutait tout le temps ensemble, lui et moi. Henry Fonda, c’était encore autre chose. Quand on a tourné cette scène d’amour, sa femme était furieuse. Fu-ri-eu-se. Elle s’est mise à côté de la caméra, et elle est restée là, à me fixer du regard. Il faut dire qu’il n’avait jamais tourné ce type de scène. Ça, elle ne supportait pas.
Vous aviez vu ses films, plus jeune ?
A Fonda ? Oh, oui, bien sûr. De là à me souvenir des titres, ça va être plus compliqué… Et voilà, on a tourné à Almeria, là où j’ai fait tous mes westerns ou presque. D’ailleurs, ils passent leur temps à m’inviter là-bas (un festival western s’y tient chaque année, NDR) !
Vous aimez y retourner ?
Bien sûr ! Tous les endroits où on a tourné sont là, inchangés. A chaque fois, j’y rencontre des gens – des gens vieillis, forcément – qui m’interpellent pour me dire : « Claudia, vous vous souvenez ? Je faisais un petit rôle dans le film. »
Et donc, Robards… Vous pensez qu’il était tombé amoureux de vous ?
C’est bien possible, oui ! Alors juste avant de partir, il a eu besoin de me toucher. Et il est mort juste après…
Mais non !
Si, si… (Confuse) Depuis un moment, ça n’allait pas très bien… Quand il est tombé, Bronson était très surpris. Il ne s’y attendait pas du tout…
Mais si vous me parlez de la scène comme si c’était la réalité, je m’y perds, moi !
(Elle rit, magnifique) Mais non, je vous parle de la scène, bien sûr !
Vous voulez dire que Sergio Leone n’avait pas prévenu Bronson que le personnage de Cheyenne allait mourir ?
Oh si, il lui avait dit. Mais il était désespéré. Ils avaient prévu de partir ensemble, vous comprenez ? C’est une scène terrible. Vous savez, ce film-là, il passe très souvent à la télé !
Vous voulez dire que quand vous y repensez, c’est le film qui vous revient, plutôt que les souvenirs du tournage ?
Peut-être, peut-être… Encore aujourd’hui, où que j’aille, tout le monde me parle de ce film. Et on me met la musique à fond.
Le thème de votre personnage ?
Oui ! Tout le temps !
Vous étiez consciente que Morricone allait écrire un thème spécialement pour vous ?
Ah cette musique ! Vous savez comment ça s’est passé ? Sergio m’a prise avec lui et m’a emmenée chez Morricone, qui s’est assis au piano et a composé la musique devant nous. Il l’a créée sous nos yeux. C’était incroyable.
Leone donnait son avis ?
Oh non, il faisait comme moi, il écoutait ! Je n’avais jamais vécu une chose pareille.
Les westerns, en revanche, vous connaissiez. Vous aviez joué dans ce film génial, les Professionnels de Richard Brooks, deux ans avant.
Ah oui, les Professionnels ! Avec ce casting ! Attendez… il va falloir que j’essaie de me rappeler de tous les noms…
Déjà il y avait une vieille connaissance, votre père dans le Guépard !
Burt Lancaster ! Les autres…
Je vous aide : Lee Marvin, Robert Ryan, Jack Palance, Woody Strode, qui est aussi dans la première scène de Il était une fois dans l’ouest…
Ohlala, encore tous ces mecs ! Pour moi c’était un grand honneur d’être entourée de ces stars. Les gens de Hollywood voulaient que je reste aux Etats-Unis, mais je me sentais trop européenne. Rendez-vous compte : j’ai 80 ans aujourd’hui, mais j’ai commencé à tourner à 16 ans, quand j’étais encore en Tunisie. Un film avec Omar Sharif (Goha le simple, en fait sorti en 1958). Je sortais de l’école et deux metteurs en scène m’ont abordée. Je suis partie en courant, vous pensez, j’étais une vraie sauvage. Mais ils sont allés parler à la directrice qui a appelé mon père. Et il a dit « d’accord, elle le fait ». C’est mon papa qui a décidé ! J’ai été un peu triste pour ma sœur Blanche, parce que devenir actrice, c’était son rêve, pas le mien, avec ses yeux bleus, blonde, si belle… Mais c’est sur moi que c’est tombé. Elle a fait un film, et puis c’est tout. J’ai toujours trouvé ça un peu injuste.
Quiconque vous a vue dans un film sait qu’il n’y a strictement rien d’injuste là-dedans…
(Elle rit, flattée) Ah ah ah ! Avec Omar Sharif, on s’est retrouvé trente ans après dans Mayrig (Henri Verneuil, 1991) où on était maris et femmes. Et il m’a dit « tu vois Claudia, on a fini par se marier. » J’ai été très affectée par sa mort (en 2015).
Si vous deviez raconter l’histoire de Il était une fois dans l’Ouest à quelqu’un qui ne l’a jamais vu, vous diriez quoi ? Que c’est l’histoire d’un type qui joue de l’harmonica et qui venge son frère ? Ou l’histoire d’une femme qui part rejoindre son mari et découvre qu’il a été assassiné ?
(Songeuse) Ah l’harmonica, bien sûr… Mais non, non, l’histoire de ce film, c’est le far-west ! Normalement, les femmes n’y sont pas admises mais là, tout tourne autour de moi. En plus, à l’origine, vous vous souvenez, j’étais une pute ! Quand je débarque, j’apprends qu’ils ont tous été tués… Je vois ce petit enfant, je le caresse. Mon mari, aussi… Lorsqu’ils ont tué le petit, ça a été terrible pour moi. Terrible.
Leone, vous connaissez bien tous ses films, ou seulement celui-là ?
(Elle compulse le programme de la Cinémathèque, qu’elle a apporté spécialement ; elle semble s’y perdre un peu, puis nous montre la photo de Clint Eastwood en « homme sans nom »). Lui, comment s’appelle-t-il déjà ? Clint Eastwood ! Je ne crois pas avoir tourné avec lui, si ?
Non. Je vous le confirme. Je le saurais.
(Elle continue de lire le programme). Ah, Il était une fois en Amérique, avec De Niro. Un copain. Une fois, je me promenais avec lui à New York, ma mère était là – elle m’accompagnait toujours quand je partais à l’étranger. Soudain, elle s’adresse à lui et dit : « vous me rappelez quelqu’un ». Il répond, très gentil : « oui, je suis Robert De Niro ». Et elle : « non, non, vous ressemblez à mon fils ! »
Et c’était vrai ?
Pas du tout ! (Nouvel éclat de rire)
Avant ce film, il n’y a pratiquement pas de femmes dans les westerns de Leone. Par la suite, surtout dans Il était une fois en Amérique, son regard se teinte d’une certaine misogynie. Ce qui rend votre personnage de Il était une fois dans l’ouest encore plus unique, surtout vu d’aujourd’hui. Tout le monde est amoureux d’elle, elle est forte, belle, fantasmatique, nourricière…
Oui, c’est vrai. Avec Sergio Leone, on avait un rapport merveilleux. Il m’aimait beaucoup, il m’avait choisie spécialement, pour être la femme autour de laquelle tous ces hommes gravitaient. Et au final, c’est le film qui m’a faite aimer du public, celui on me parle dans la rue, celui que l’on m’invite à présenter dans le monde entier. Des chauffeurs de taxi sortent leur harmonica et se mettent à jouer le fameux air (elle se met à fredonner). Vraiment ! Et ça n’est pas arrivé qu’une fois ! Des films, pourtant, j’en ai fait plus de 150…
Vous vous rappelez de tous vos films ?
Oh non, il y en a tellement ! L’autre jour, j’en ai revu un, très ancien, avec Michèle Morgan, Danielle Darrieux et Jean-Claude Brialy (les Lions sont lâchés, 1961) à la Cinémathèque. J’y vais souvent, c’est incroyable tout ce qu’on peut y voir. Mais voilà, celui-là a marqué plus que les autres. Plus que le Guépard ou Huit et-demi, que j’ai tournés en même temps (en 1963). J’ai eu la veine de faire quatre films avec Visconti. Lui, vous savez (elle chuchote) : il n’aimait pas les femmes…
Sexuellement, vous voulez dire.
(Toujours à voix basse). Oui ! Mais il m’invitait toujours à dîner chez lui. Sous la serviette, à table, il faisait mettre des bijoux pour me les offrir. Et quand il partait en voyage, il me disait « tu viens avec moi ». A chaque fois !
Comme quoi, il aimait les femmes, malgré tout…
Ah ah ah, oui ! A Almeria, j’ai fait aussi les Pétroleuses, avec Brigitte Bardot. Il y avait une scène où on devait se disputer violemment, une bagarre, et elle a envoyé un mec habillé comme elle, une doublure. Elle disait que je lui faisais peur. Mais j’ai réussi à la convaincre qu’on tourne la scène ensemble. Ensuite, elle m’a envoyé une lettre magnifique « A ma pétroleuse bien aimée ». (Son visage s’assombrit) Maintenant elle est avec un homme d’extrême-droite. Alors je ne peux plus l’appeler, parce que c’est lui qui répond. Avant, on s’appelait tout le temps…
Il était une fois dans l’ouest, vous préférez le voir dans quelle langue ?
Oh, italien, anglais, français, je parle les trois, ça ne change rien. A mes débuts, j’étais toujours doublée. J’avais la voix trop grave et je ne parlais pas assez bien l’italien. Ma première langue, c’était le français, parce que j’avais grandi en Tunisie. C’est Fellini qui, le premier, a utilisé ma voix, dans Huit et demi, parce que je jouais mon propre rôle.
Vous avez toujours l’accent français, en italien ?
Non, maintenant, je parle très bien. J’ai pris des cours ! Et quand je vais dans les Little Italy du Canada ou des Etats-Unis, dans ces endroits où il y a eu une importante immigration italienne au moment de la guerre, les gens me demandent : « Claudia, ne parle pas en anglais, parle nous en italien ! »
Mais vous pensez au film sous quel titre ?
(Elle réfléchit) Hmm… Il était une fois dans l’ouest. En français, oui.
Plus jeune, votre immense beauté, vous la viviez comme un pouvoir ou comme un poids ?
Oh non, moi j’étais normale. Je ne me suis jamais monté la tête avec ça. J’ai eu la chance de tourner très jeune dans le Plus Grand cirque du monde (Henry Hathaway, 1964), avec Rita Hayworth et John Wayne. J’avais 18 ans (en fait 25), ils jouaient mon papa et ma maman. Pour moi, Rita Hayworth, c’était un mythe, j’avais vu Gilda, sublime ! Un soir, elle rentre dans ma chambre, et elle se met à pleurer. Je lui demande ce qui ne va pas. Et elle me dit : « tu sais, moi aussi, un jour, j’ai été belle. »
Attendez, ça, ce n’est pas dans le film !
Non, en vrai ! Moi, je la rassurais, je lui disais combien elle était belle. Mais que voulez-vous (elle s’assombrit à nouveau), elle était nostalgique du temps qui passe. Où va être publiée cette interview ?
Dans Première !
Oh, c’est un beau magazine, ça ! Voilà, ça m’a touchée, parce qu’elle était encore très belle, justement.
Ça ne vous est jamais arrivé, d’éprouver ce genre de sentiment ?
Non ! Moi, d’abord, je ne me suis jamais fait refaire (elle montre son visage, parfait). Je déteste ça ! Ma maman me disait toujours « Claudia, toi, de toute manière, on ne voit pas tes rides, parce que tu ris tout le temps ! » Et c’est vrai ! Je ris tout le temps ! (Elle rit, en majesté).
Moi qui ne suis ni très belle, ni une femme, quand je vois une photo de moi plus jeune, ça me fait quelque chose. Vous, quand vous vous voyez en gros plan en cinémascope, avec la musique de Morricone, ça ne vous trouble pas ?
Non, du tout. En revanche, le fait d’être filmée en très gros plan, avec tous les détails du visage, j’adorais ça. C’était extraordinaire.
C’est plus compliqué, pour l’acteur ?
Non, ça ne change rien en matière de jeu. Mais à l’écran, c’est incroyable, on a l’impression de voir ce qui se passe au fond du regard.
Votre meilleur souvenir, ce serait quoi ?
Peut-être avec Belmondo, quand on tournait la Scoumoune, dans le sud, il m’avait demandé de détourner l’attention du directeur de l’hôtel, en lui faisant des sourires. Pendant ce temps, il balançait tous les meubles dans la rue ! Ah ah ah ! On a un très bon rapport, encore aujourd’hui. Delon, je l’ai vu aux obsèques de Mireille Darc, je ne l’ai pas reconnu, c’est lui qui est venu m’embrasser en me disant « Angelica ! C’est moi, Tancrède ! ». Bon sang, quand on a tourné le film, le Guépard, tout le monde faisait la queue pour aller coucher avec lui ! Moi, je n’ai jamais mélangé la vie privée et le cinéma. Et je n’ai eu qu’un homme dans ma vie. Un Napolitain. On a eu une fille ensemble mais je n’ai jamais voulu me marier. Quand notre fille est née, je lui ai dit « Appelons-la Anaïs ». Il m’a répondu : « Non. Ce sera Claudia. Claudia Squitieri ! Comme si toi tu m’avais épousé. »
Je voulais dire un souvenir de ce film, une scène que vous aimez plus que les autres.
Quand il (Jason Robards) me dit que je fais le meilleur café du monde. « Fais-moi un café… » Magnifique !
Merci, pour votre temps. Si vous voulez faire une interview sur toute votre carrière, c’est quand vous voulez, dans Première !
Ohlala, il faudra que je vienne avec tous mes films !
Si vous voulez, on les revoit ensemble à la Cinémathèque.
Et pourquoi pas ? Vous me laissez payer la note, s’il vous plaît ? Ça me fait plaisir.
Certainement pas. Je veux pouvoir dire que j’ai payé un verre à Claudia Cardinale.
Alors d’accord. C’est combien ? Huit euros ? Bon, ça va. Ah, il fait vraiment un temps splendide aujourd’hui, vous ne trouvez pas ?







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