Yorgos Lanthimos, l’auteur de The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, a encore frappé.
France 3 diffusera ce soir, pour la première fois en clair, La Favorite, le film de Yorgos Lanthimos qui a créé l'événement lors de la saison des Oscars 2018-2019. Le réalisateur de The Lobster y a offert des rôles en or à Oliva Colman, qui a d'ailleurs remporté la statuette de la meilleure actrice et a livré un discours hilarant, à Rachel Weisz et à Emma Stone (qu'il doit retrouver bientôt pour Poor Things, une histoire à la Frankenstein). Voici notre première critique du film, publiée lorsqu'on l'a découvert à la Mostra de Venise, en août 2018. Lors de ce prestigieux festival, il avait été récompensé du Prix du jury, et Olivia Colman y avait déjà reçu la Coupe Volpi de la meilleure interprète féminine. Nous avions publié une deuxième critique, plus détaillée, lors de sa sortie au cinéma en février 2019, à lire ici.
On avait quitté Yorgos Lanthimos sur la douche froide de Mise à mort du cerf sacré, très désagréable exercice de cruauté à la Haneke qui, à Première, nous avait complétement réfrigérés. Le cinéaste grec revient un an après avec le beaucoup plus réjouissant The Favourite, film historique qui entend dynamiter le genre du drame en costumes. On n’ira pas jusqu’à dire que c’est un crowd-pleaser, mais c’est sans doute l’opus le plus accessible et « sympathique » jamais tourné par son auteur. Le propos est toujours aussi dark, pessimiste, mais cette comédie sur le pouvoir est emballée avec une frénésie cartoon assez irrésistible. La pesanteur étouffante de Canine semble loin. Lanthimos mettrait-il de l’eau dans son vin pour mieux poursuivre son irrésistible ascension dans le cinéma arty international ? Que le fan-club se rassure : il reste ce provocateur punk et disciple bunuelien qui aime faire mine de sadiser les stars qu’il emploie. Après le Colin Farrell moustachu et pataud de The Lobster, c’est une Emma Stone couverte de boue qui débarque à la cour de la Reine Anne, au début du XVIIIème siècle. Stone incarne Abigail, une aristo déclassée qui va s’immiscer dans le duo formé par Anne (Olivia Colman, bientôt Elizabeth II dans The Crown) et son éminence grise Sarah, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz). La servante ambitieuse va tenter de piquer la place de Sarah pour mieux gravir les échelons du pouvoir.
Le schéma narratif de The Favourite est beaucoup plus classique que celui d’une dystopie post-Black Mirror comme The Lobster, mais ça n’empêche pas Lanthimos de faire régulièrement souffler un vent de malaise à coups de scènes creepy et bizarroïdes, de plans filmés au grand angle, d’imagerie morbide et de notations absurdes. Le film est un terrain de jeu fabuleux pour ses actrices déchainées, Emma Stone en tête, qui interprètent leur partition comme dans une version cocaïnée des Liaisons Dangereuses. Ce trio mène un film dont les hommes sont presque totalement absents, marginalisés, réduits aux utilités. A quoi aurait ressemblé la marche du monde si les postes de pouvoir avaient été occupés par les femmes plutôt que par les hommes ? Lanthimos semble suggérer qu’elle aurait été régie par les mêmes jeux de soumission et de domination, par les mêmes affects : l’ambition, la peur, la cruauté, la violence. Avec ce film plus direct et « simple » que les précédents, le cinéaste va peut-être élargir son auditoire. Mais il ne compte manifestement pas changer de point de vue sur la nature humaine.
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