Rencontre numérique avec le réalisateur du monumental Dune, qui parle avec émotion d'avoir enfin porté sur grand écran son rêve d'adolescent, tout en affirmant refuser de se laisser enfermer dans la franchise.
Tout juste rentré de la Mostra, Denis Villeneuve était à Paris la semaine dernière pour parler de Dune. Nous aussi, mais les contraintes présentes étant ce qu'elles sont, l'interview s'est déroulée sur Zoom, à quelques stations de métro de distance. Les quelques problèmes de connexion ne nous ont pas empêché de pouvoir faire le point sur Dune, ce monument de la SF qui a bouleversé l'ado Villeneuve et hanté ses rêves depuis. Sa version rêvée arrive enfin sur les grands écrans le 15 septembre, un an après son report pour cause de pandémie et quatre ans après avoir accouché du fascinant Blade Runner 2049...
Grâce à Denis Villeneuve, Dune entre dans l'ère des franchises [critique]Première était sur le tournage de Sicario en 2014. A ce moment-là, est-ce que vous aviez déjà Dune sur votre radar ?
Non, à l’époque de Sicario, je n’aurais même pas osé y penser… Mais il y avait déjà l’idée de Blade Runner 2049, on m’avait glissé le scénario et c’était déjà quelque chose d’ahurissant. Le rêve de Dune m’habite depuis très longtemps, mais s’y attaquer concrètement, c’est forcément plus récent car j’attendais d’avoir les compétences techniques.
Vous dites que le roman vous accompagne depuis l’adolescence : est-ce que l’adolescent en vous est satisfait de votre version de Dune ?
J’aime bien votre question : elle était au cœur du processus de création. Retourner à un certain espace, disons la sensibilité de l’ado qui rêvait à la science-fiction, qui avait été subjugué par le roman. Pour arriver à la vision la plus juste possible, je devais reprendre contact avec cette énergie adolescente. Ce que je n’avais jamais fait pour aucun de mes films précédents. Ça a été un vrai travail d’archéologue : il fallait que je creuse en moi pour déterrer les visions que le roman avait provoquées en moi. Ça a été intense. Hans Zimmer m’avait prévenu : "est-ce que c’est une bonne idée, au fond, de mettre au monde un de tes vieux rêves ?" Hans rêve aussi de Dune depuis l’adolescence, lui et moi, on a porté ce fantasme ensemble… Bref, pour répondre à votre question, je suis partagé. Il y a des moments dans le film qui font écho directement au rêve initial, qui comblent un vide en moi, qui provoquent une joie sourde. Comme si une partie de moi-même pouvait enfin s’exprimer librement, sans jugement… Mais dans d’autres parties du film, je n’ai pas réussi, j’ai dû modifier le rêve pour le rendre plus accessible. Au fond, ce film est l’un de mes plus personnels. Paradoxalement : c’est le plus gros, celui qui a le plus d’ampleur, mais c’est peut-être le plus personnel.
Est-ce que vous vous souvenez d’une image précise que le livre a provoqué en vous ?
Attendez, je crois que vous êtes figé, la connexion se perd...
OK, je change de pièce... Là, c'est mieux ?
Oui, mais ne bougez plus.
Et oui, c'est ça le futur, les interviews par Zoom.
Ouh là, j'espère bien que non, que c'est juste quelque chose de contemporain... Donc, quelle était votre question ?
Est-ce que vous vous souvenez d’une image précise que le livre a provoqué ?
C’est la beauté du roman : c’est un rêve éveillé. Beaucoup d’images, surtout des paysages, des lieux. Des émotions… Quand Frank Herbert donne peu de description, notre esprit prend le relais et comble ce manque. C’est ce que j’ai tenté de trouver. Quand on adapte, on fait des choix. Il y a une certaine violence à la transformer, à la faire passer d’un médium à un autre. C’est forcément brutal.
Vous dites que c’est votre film le plus personnel, justement, en quoi est-ce que ce film vous appartient ?
Dans Paul, ce personnage qui essaye de trouver une façon de se départir de son héritage familial, génétique, religieux, politique, qui tente de forger une nouvelle identité dans une autre culture, je crois qu’il y a quelque chose de proche de certaines de mes préoccupations. Il y a aussi l’impact des paysages sur la psyché, une certaine volonté d’épure visuelle, de retenue cinématographique, de me mettre au service de l’histoire et en retrait -sans vouloir exister à tout prix.
Justement : en ce moment, les gros films font partie d’une franchise, et cela s’oppose à la notion même d’auteur. Vous ne trouvez pas que faire Dune, c’est faire le choix de la franchise et pas celui de l’auteur ?
Non. Pour moi, la notion même de "film d’auteur" est galvaudée. Tant qu’on sent une personnalité dans un projet, que c’est un objet artistique et qu’il y a une volonté à l’œuvre, ce n’est pas une question d’argent. Mais de comment on aborde le cinéma. Le problème aujourd’hui… Bon, si on parle de Marvel, le truc c’est que tous ces films sont fabriqués d’après le même moule. Certains cinéastes peuvent y amener un peu de couleur, mais ils sont tous moulés dans la même usine. Ça n’enlève rien aux films, mais ils sont formatés. Dune est extrêmement personnel. Qu’il ait coûté 3 millions ou 300 millions, qu’il y ait un film Dune ou trois. Je revendique complètement sa paternité. J’ai essayé de faire le film le plus populaire possible. Un film pour tous, contrairement aux précédents, qui étaient tous dans un "espace" adulte. Trop violents. Là, j’ai pensé au public jeune, j’ai ouvert les fenêtres ; j’ai essayé d’être grand public. La nature même du roman, qui s’adresse à tout le monde et notamment aux jeunes adolescents. J’ai essayé d’être plus rythmé, plus accessible. J’ai adoré faire ça.
Avez-vous montré le film à Ridley Scott ?
Non ! La chose, c’est que le film a été terminé au printemps passé, je suis revenu à Montréal pour le finir tranquillement. Il y avait tellement de versions à finaliser : la copie 35mm, la version Dolby, la version 3D, IMAX, tout ça… Faut se rappeler que Ridley n’a fait que deux films cette année ! (rires) Il est toujours très occupé. Je n’oserais pas le déranger, et je n’étais pas en contact avec lui dernièrement. Je sais que Ridley a caressé le rêve de s’attaquer à Dune (NDLR : le producteur Dino De Laurentiis lui avait proposé Dune avant David Lynch), j’aurais bien aimé avoir son avis sur le film, c'est vrai.
Le film réclame une suite, la série télé est en projet… Est-ce que vous vous voyez devenir LE cinéaste de Dune ? Ne plus faire que cela, ensuite
Non, non. Je me suis engagé à faire un premier film en deux parties. Dune : Partie Un, et Dune : Partie Deux. Voilà. C’est mon désir de faire ce grand film, après, on verra. Ça demande beaucoup de temps et d’énergie, et ensuite on verra. J’ai d’autres projets qui sont importants pour moi. S’il y a un troisième Dune, ce sera peut-être pour plus tard. Si jamais ça arrive, on verra. La priorité va être la deuxième partie, et après… La série télé, c’est quelque chose que je regarde de loin. Je suis moins familier avec le monde des séries. La série Dune est un projet absolument magnifique, mais je ne sais pas encore quel sera mon degré d’implication. Ma priorité, c’est le deuxième film. Après ça… j’ai d’autres projets prêts à démarrer. Je ne me vois pas faire seulement Dune dans les quinze prochaines années. (rires) J’ai d’autres désirs qui ont besoin de voir le jour.
Donc, on n’est pas obligé de rester prisonnier de Dune.
Exactement. Ceci dit, c’était un tel privilège de pouvoir le porter à l’écran… une énorme responsabilité, mais un énorme privilège. Et ce sera encore un privilège de tourner la suite. Le Messie de Dune pourrait vraiment donner un film magnifique, donc… Mais ça commence à être trop gros de penser à tout cela en même temps. Je suis monomaniaque. Je travaille sur un projet à la fois, je mets tout mon énergie dedans. J’ai un rythme un peu particulier.
Bon, et bien merci Denis, j’arrive à la fin du temps imparti, mais on me dit que j’ai droit à une toute dernière question… C’est un détail, mais à la toute fin du générique, vous remerciez Craig Mazin. (NDLR : le créateur de Tchernobyl) Pourquoi ?
Dans le processus de scénarisation, pour arriver à "cracker" le script que j’ai co-écrit avec Eric Roth et Jon Spaiths, Craig m’a donné des conseils très bienveillants. On a vécu une très belle amitié. J’avais envie de brainstormer avec des gens extérieurs, et il a vraiment donné de beaux conseils, très pertinents. Il m’a aidé à achever la scénarisation du film. Il a donné beaucoup de son temps, avec beaucoup de patience. J’ai décidé de le remercier dans le film. D’autres scénaristes et cinéastes, comme Guillermo Del Toro, nous ont donné du temps, et il fallait que je le reconnaisse. C’était important pour moi. Il y a un rapport d’amitié dans la collaboration, une joie collective. Et Craig a fait partie de ce collectif.
Attendez, vous dites que Guillermo Del Toro a participé à Dune ?
(l'image se fige un instant, Denis reste silencieux) Bon, merci beaucoup ! Ça m'a fait plaisir de vous parler.
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