Dans les USA covidés de 2020, Joaquin Phoenix et Pedro Pascal s’affrontent pour devenir maires d’une petite ville du Nouveau-Mexique… Entre comédie, horreur et western, un nouveau sommet d'Ari Aster.
Après les triomphes d’Hérédité et de Midsommar, Ari Aster commença à prendre ses distances avec le genre de l’horreur, sans doute par peur d’être enfermé dans une case ou encombré par des étiquettes. Beau is afraid, son troisième long, odyssée psychanalytique de trois heures, brouillait sérieusement les pistes, entre comédie noire, film-trip et cartoon psyché. "Mais qui est vraiment Ari Aster ?" était l’une des centaines de questions qu’on se posait en sortant de la salle…
Eddington confirme en tout cas qu’avec lui, l’horreur n’est jamais loin – si on entend par horreur des visions de cauchemar, de la violence qui prend aux tripes, un sentiment de sidération, et l’impression de s’enfoncer dans un bad trip plus poisseux à chaque pas. Le cauchemar, ici, c’est celui de l’Amérique en déliquescence des années 2020 – de mai 2020, très précisément, en plein cœur de la pandémie de Covid. Le film se déroule dans une bourgade du Nouveau-Mexique, qui sert de métonymie microscopique au pays entier, et nous plonge la tête la première dans un shaker explosif condensant les maux, défauts et obsessions maboules de l’époque.
Toute la population US la plus hystérisée, politiquement énervée, ou juste totalement paumée, est donc là : conspirationnistes, gourous illuminés, influenceurs atterrants, activistes antifa, clodos délirants... Une monstrueuse parade convoquée via une myriade d’écrans d’ordinateurs ou de smartphones, des cadres dans le cadre qui donne à Eddington son aspect agressif et patraque. Une idée reçue dit que ce ne serait pas intéressant de filmer des gens le nez dans leur téléphone. Pas intéressant ? Quand Ari Aster et le directeur photo Darius Khondji s’y collent, ça le devient.
Le film règle son pas sur celui d’un shérif au bout du rouleau, Joe Cross (Joaquin Phoenix), sur le point de partir en vrilles politico-psychotiques. Parce qu’il refuse de porter un masque à cause de son asthme, et qu’il est devenu une micro-star des réseaux après avoir aidé un autre citoyen non masqué à faire ses courses à la supérette du coin, Joe décide de briguer le poste de maire contre l’édile actuel (Pedro Pascal), qui soutient le big business gouvernemental. Entre eux, il y a la femme de Cross, Louise (Emma Stone), artiste malheureuse souffrant d’un mal indicible. Voilà pour le point de départ, qui ne donne qu’une idée très vague de la dimension hallucinée que va bientôt prendre l’affaire. Assez tortueux dans sa mise en place, porté par un humour très grinçant qui semble d’abord renvoyer dos à dos toutes les parties de l’Amérique fracturée, Eddington plonge peu à peu dans la nuit noire et s’emploie à nous faire ressentir concrètement, physiquement, ce qu’est la désorientation (politique, morale, existentielle), le brouillage des repères et de la perception, le sentiment de désagrégation du réel, d’un plancher des vaches qui se déroberait sous nos pieds.
On parle de vaches car le cadre est celui du western ancestral et que le personnage principal est le descendant (dégénéré) d’une longue lignée de shérifs de cinéma. Mais on est bien dans le monde d’après No Country For Old Men, un cran plus loin encore que les Coen dans la noirceur et la panique. Une référence à John Ford à la fin du film, et avant ça la visite expresse et dévastatrice d’un musée dédié à l’histoire de l’Ouest, confirme l’ambition d’Aster de s’inscrire dans le cadre des grands récits mythologiques US. Son récit à lui, qui va bien au-delà d’un simple jeu de massacre, témoigne d’une inquiétude et d’un profond désespoir, exprimés dans un style abrasif, éreintant, clairement pas fait pour plaire à tout le monde, mais absolument unique en son genre. Qui est Ari Aster, bon sang ? Grand cinéaste américain, tiens, voilà un rôle qui lui va bien.
De Ari Aster. Avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone... Durée: 2h27. Sortie le 16 juillet 2025







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