"Contrairement à Bridget Jones, les célibataires n’attendent pas l’amour en regardant des séries !"
Les Gazelles sera rediffusé ce soir sur TFX. A sa sortie, en 2014, Première avait rencontré sa réalisatrice, Mona Achache et deux de ses comédiennes : Audrey Fleurot et Camille Chamoux, pour connaître les secrets d'une comédie romantique réussie. Notez que cette programmation tome bien : Chamoux est actuellement à l'affiche du Processus de paix, qu'elle a également co-écrit, et c'est "une comédie électrisante", que Première vous conseille.
Première : Bon. Si j’ai bien compris : à bas les Bridget Jones, vive la vodka et ciao l’Häagen-Dazs en pot de 10 litres ?
Audrey Fleurot : En tout cas, l’horizon du bonheur n’est pas forcément de rencontrer le mari.
Camille Chamoux : Ouais, le « Prince Charmant ».
Mona Achache : Et puis, c’était un peu la volonté du film, ne pas s’ancrer dans un registre, ou une catégorie de films qu’on connaît – qu’on peut aimer d’ailleurs – mais où les femmes ne sont traitées que comme des figures. On voulait quelque chose de plus réaliste.
C.C : Contrairement à Bridget Jones, les célibataires n’attendent pas l’amour en regardant des séries, entre leur chat et leur pot de glaces justement. Elles sortent et s’éclatent avec leurs copines en buvant de la vodka, et accessoirement en allant chasser. Elles s’occupent quoi. Elles ne se disent pas…
A.F : …« Je suis entre parenthèse ».
C.C : Voilà ! Si je dois attendre 7 ans pour trouver un homme que j’aime, qui m’aime et qui me corresponde, je ne vais pas poireauter au fond de ma chambre avec mon chat et mon pot d’Häagen Dazs. Non, non, non ! Au contraire, je vais vivre, accumuler de l’expérience qui me rendra plus riche, plus forte, plus chouette quand je rencontrerai l’homme de ma vie dans 2 mois, 7 ans ou 2 ans et demi.
Il a encore des chances le Prince Charmant ?
C.C : Bon, déjà, c’est pas un prince parce qu’on est au XXième siècle. A la rigueur ça peut être un « jeune homme charmant ».
A.F : C’est le paradoxe. On frise le cynisme parce qu’on a rencontré plusieurs Princes Charmants, on s’est cassées la gueule plusieurs fois, on s’est remises en selle, re-cassées la gueule. Du coup on a perdu cette notion d’absolu qu’on pouvait avoir lors du premier Amour. Et pourtant, on meurt d’envie d’y croire encore… du coup, on est obligés de réinventer la relation amoureuse. Et on est lucides.
M.A : Je préfère ça à cyniques ! La question que le film pose c’est surtout celle de la peur de se désengager, et ce qu’on doit faire pour aller au bout de cette question : « qu’est-ce que je veux vraiment ? ». Ca n’enlève à rien à notre envie de Prince Charmant. Même si, dans cette aventure, on passe par des expériences parfois pathétiques, parfois humiliantes, parfois jouissives, parfois douloureuses. En tout cas, incroyablement vivantes et avec très peu de cynisme.
C.C : C’est un truc qu’on partage toutes : on ne peut pas être bien et trouver le Prince Charmant si on ne s’est pas trouvée soi-même. J’ai l’impression qu’on ne peut pas plaire à quelqu’un si on ne se plait pas un peu avant. Pour se plaire à soi-même, il faut être fier de ce qu’on fait, de qui on est et ce film raconte ça aussi : comment s’affranchir de plein de choses pour trouver qui tu es.
« C’est toi qui dit quand, c’est toi qui dit qui, c’est toi qui dit comment » : le mantra de la femme du XXIème siècle ?
C.C : Ouais !
M.A : C’était une façon de marquer qu’il y a désormais une forme d’égalité entre hommes et femmes. Une femme peut désormais être le moteur dans les rapports de séduction.
C.C : Sur la grande carte géopolitique de « Qui pécho qui ? », aujourd’hui tout le monde peut être victime et prédateur. Chasseur ou chassé.
A.F : On est tous le barbu de quelqu’un !
C.C : Mais voilà ! C’était ça l’expression que t’as sortie l’autre jour et que j’adorais ! On a tous brisé le cœur de quelqu’un et on s’est toute faites briser le cœur.
C’est ça la véritable égalité ?
C.C : On rééquilibre. Mon personnage se barre de l’engagement dans lequel elle s’était enferrée et celui d’Audrey refuse de se mettre en couple. Elle refuse de se reprendre un pain dans la gueule.
A.F : Elle est heureuse dans son célibat, c’est la reine de la nuit. Elle est bien dans cet équilibre qu’elle a trouvé entre son fils, ses amies, les mecs qu’elle se tape et son boulot. Mais, sous couvert d’être le personnage le plus déterminé, revendiquant son célibat, c’est la plus fragile. C’est une handicapée du sentiment et de la relation amoureuse. Il y a la peur de quitter ce qu’on connaît mais dans un sens ou dans l’autre : que ce soit le couple ou sa vie en solo. Une autre différence de notre génération, c’est l’absence de « sacerdoce » que pouvaient avoir nos aînées. A partir du moment où l’on ne s’y retrouve plus, on préfère arrêter. A notre décharge, on est dans une société du culte de l’épanouissement personnel avant tout. Beaucoup d’égoïsme, de développement personnel, d’expérimentation. Et on se retrouve à se dire : « Je ne veux pas passer à côté de ma vie, je veux embrasser un maximum d’expériences ».
Finalement, Les Gazelles est plus qu’un film de femmes sur les femmes, c’est un vrai film générationnel ?
A.F : Définitivement.
M.A : Ce que se demandent les personnages, c’est si elles vivent leur propre désir ou si elles suivent ce que les autres veulent leur imposer. C’est peut-être exposé par des femmes trentenaires, mais tout le monde peut s’identifier à ces problématiques-là.
C.C : Ca parle aussi du courage qu’il faut pour quitter une situation confortable. De tous points de vue d’ailleurs. Au début du film, je suis maquée, j’ai une situation confortable mais qui ne m’épanouit plus. On peut avoir le confort même quand il n’est plus vecteur d’épanouissement. Et, de la même manière, Audrey, qui est la reine de nuit, n’a pas envie de quitter ce confort de vie un peu libre et excitant pour se réengager avec quelqu’un. Donc je pense que le film parle de ce que c’est que la prise de risque aujourd’hui. Notre génération a grandi dans la peur. La peur du SIDA, la peur de la crise… Et la peur glace un peu nos vies. On ne vit plus, on se contente de choses. Et le film parle de ce que c’est de ne pas se contenter mais de vivre quelque chose.
Le girl power c’est Beyoncé ou Simone de Beauvoir ?
Les trois ensemble : Un peu des deux !
A.F : Et plein d’autres !
M.A : Il faut que chaque femme reste libre d’exprimer ce qu’elles veulent comme elles le veulent. C’est donc autant Beyoncé que Simone de Beauvoir ou Veil ou autres…
C.C : Si Beyoncé veut s’exprimer en montrant son cul dans les clips parce que ça lui fait plaisir à elle et que c’est pas forcément pour l’homme, mais parce que ça la fait kiffer…
A.F : … en plus elle a fait beaucoup de sport, elle a bien le droit de rentabiliser…
C.C : Ouais ! Et ben qu’elle le fasse ! Moi je n’ai pas de souci avec ça. On a la liberté de s’exprimer par son cul, par son cerveau, par ce que tu veux quoi !
Propos recueillis par Perrine Quennesson
Commentaires