Fin 2021, elle nous avait reçus chez elle, à l’occasion du documentaire de sa fille, Jane par Charlotte, pour évoquer son parcours. Dernière partie de notre hommage où il est ici question d’Agnès Varda, Godard, Rivette, Tavernier, Resnais et Charlotte Gainsbourg.
C’était une après- midi de novembre 2021, quelques semaines avant la sortie du magnifique documentaire Jane par Charlotte que sa fille Charlotte Gainsbourg lui avait consacré. Jane Birkin nous avait ouvert les portes de son appartement parisien de la rue du Cherche- Midi pour retracer sa carrière de comédienne et de réalisatrice. L’accueil y avait été aussi chaleureux que le lieu, véritable cabinet de curiosités qui nécessiterait des heures pour explorer les mille et un trésors et souvenirs qui le composent. Son chien s’était installé paisiblement à nos pieds et avait entamé une sieste qui allait durer tout le long de l’heure de confidences à laquelle elle s’était prêtée sans rechigner à emprunter la machine à remonter le temps. C’était sans doute parce qu’elle était profondément ancrée dans le présent que le passé ne lui faisait pas peur. Alors qu’on a appris aujourd’hui sa disparition soudaine à 76 ans, on a eu envie d’ouvrir à notre tour le livre de ce souvenir inoubliable avec elle. En trois parties pour survoler ses quasi 60 ans de carrière. Voici la dernière.
JANE BIRKIN- LE CINEMA ET MOI, PARTIE 1- DE BLOW-UP A DON JUAN 73Dans les années 80, bien avant votre fille Charlotte, c’est Agnès Varda qui vous consacre un documentaire, Jane B par Agnès V, sous forme de collage d'entretiens et de sketches. Et ce un an après avoir tourné Kung fu master sous sa direction. Qui a provoqué cette rencontre ?
Agnès s’est installée chez moi pendant presque deux ans. J’avais écrit un scénario sur un tout jeune garçon de 13 ans amoureux d’une femme de 40 ans. J’avais pensé à Chéreau pour le mettre en scène et de moi- même j’ai reculé car je ne voyais pas pourquoi Chéreau s’intéresserait à cette histoire. Et comme elle tournait ce documentaire à ce moment- là, je lui ai montré mon petit carnet. Je ne pense pas que ça l’intéressait plus que ça. Mais elle s’est juste dit que si ça m’apparaissait tellement important, cela avait à voir profondément avec mon caractère, avec ma nostalgie presque maladive du temps de l’enfance. Et elle avait raison. Elle avait su lire entre les lignes des choses que je n’avais pas vu moi- même. C’est pour ça qu’elle a accepté de réaliser Kung- fu Master et j’ai choisi son fils Mathieu pour jouer car il était idéal pour filmer les derniers pas d’un enfant avant de devenir un homme. Agnès l’a fait pour moi. Puis elle a enchaîné avec Jane B. par Agnès V.. Je n’ai pas revu le documentaire depuis des années mais je souviens comme si c’était hier de l’inventivité, de l’ingéniosité et du goût du partage d’Agnès. Je n’ai jamais connu quelqu’un mû par une telle curiosité. Quand on partait en voyage avec elle, il fallait visiter tous les musées. Pour elle une seconde sans apprendre ou découvrir était une seconde perdue. Et puis elle était gonflée et personne ne pouvait lui dire non
Vous avez un exemple ?
On était allés ensemble au festival Lumière de Lyon une année. J’avais repéré un petit hôtel charmant et Agnès, elle, n’a dès lors eu qu’un but : qu’on puisse dormir dans le lit de Louis Lumière et sa femme. Or, ce lit est dans le musée et évidemment pas prévu pour que quelqu’un y passe la nuit. Mais impossible n’était pas Agnès ! Donc on a bien dormi dans ce lit- là
Vous gardez un aussi bon souvenir de votre rencontre avec Godard sur Soigne ta droite ?
Non, ça c’était nul. Pour lui comme pour moi. La rencontre ne s’est pas faite. La seule chose qui avait un peu rendu la chose attractive est qu’il avait un gros rhume !
Et en 1990, Dirk Bogarde prévu pour être votre amant dans Je t’aime moi non plus devient votre père dans Daddy Nostalgie de Bertrand Tavernier. Au vu de la relation que vous évoquiez plus tôt avec votre propre père, ce film doit tenir une place à part dans votre carrière ?
Oh oui et je n’en reviens qu’il soit passé à la trappe, qu’il ne soit plus visible depuis des années à la télé. Sans doute parce qu’il fait un peu peur, parce qu’il nous confronte à ce qu’on redoute tous : ce coup de fil qui vous annonce que votre père est malade. On avait beau essayé en promo de dire que c’était aussi une comédie, personne n’était dupe ! Je ne remercierai jamais assez Bertrand pour ce film si sensible. Il m’a permis – et il reste le seul – à être à la fois anglaise et française. Et sur le plateau, chaque improvisation le rendait fou de joie. Bertrand était le premier spectateur enthousiaste de ses comédiens. C’est le seul tournage où je n’ai pas eu une seconde d’angoisse parce qu’il savait partager l’immense bonheur qu’il ressentait
Votre père était là sur le tournage ?
Oui. C’était troublant de voir mon vrai père regarder le faux. Et merveilleux aussi d’avoir Odette Laure pour maman
Et comment se sont passées vos retrouvailles avec Tavernier en 2013 le temps d’une scène de Quai d’Orsay où vous jouez un prix Nobel de la littérature ?
J’ai accepté juste pour le bonheur de tourner avec lui. C’était un dimanche, avec des bigoudis dans mes cheveux ! (rires)
Jacques Rivette fait aussi partie de ces cinéastes qui ont tourné plusieurs fois avec vous…
A notre premier rendez- vous pour parler de L’Amour par terre, il était venu me voir chez moi avec Geraldine Chaplin et sa productrice. Là, de manière très naturelle, je lui ai demandé à lire le scénario. Il m’a répondu de manière très charmante qu’il n’en avait pas. Il m’a ensuite demandé si j’aimais le cirque. Je lui ai répondu que je trouvais ça horrible, poussiéreux et ringard. Et j’ai ajouté que si on ne me donnait pas des rails pour jouer, j’allais tomber. Il est reparti dans les escaliers et une fois en bas, il s’est retourné et m’a lancé « je vous ai toujours aimée. J’ai toujours eu envie de travailler avec vous ». Des choses que j’avais eu envie entendre toute ma vie ! C’est là où Jacques a pointé sa tête et comprenant que je n’avais vu aucun de ses films, il m’a dit d’aller voir au plus vite Céline et Julie vont en bateau qui se jouait toujours dans un cinéma du Quartier Latin. Le titre m’a intrigué. J’ai pris Charlotte avec moi. Et en sortant, j’étais tellement émerveillée par l’originalité et la fantaisie de ce que je venais de voir que j’ai appelé Geraldine pour lui dire que j’allais accepter la proposition. Elle a appelé Jacques et c’est ainsi qu’a commencé notre merveilleuse aventure de trois films, avec La Belle Noiseuse et 36 vues du Pic Saint Loup.
JANE BIRKIN- LE CINEMA ET MOI, PARTIE 2: DE JE T'AIME, MOI NON PLUS A LA PIRATEChez un autre maître Alain Resnais, dans On connaît la chanson, vous incarnez la femme de Jean- Pierre Bacri et vous avez la particularité d’y chanter… votre propre chanson Quoi …
Oui, c’était la chose la moins originale du film. Mais là encore la rencontre était très marrante. Alain était venu chez moi et j’avais mal dosé le café que je lui avais préparé. Il était très très fort. Le tout dans des grands mugs à l’américaine. Et quand il m’a rappelé plus tard, je lui ai demandé si je ne l’avais pas empoisonné. Et là il m’a raconté que quand il était jeune, son cœur battait trop longtemps et on le prenait pour un grand paresseux donc il m’a assuré que je lui avais fait le plus grand bien. C’était un amour. Et ce fut juste une journée de travail rigolote.
L’envie de passer à la mise en scène de cinéma vous taraudait depuis longtemps quand vous réalisez Boxes en 2007 ?
Ce film est né de questions que je me posais sur le fait de savoir si j’avais été une bonne mère ou non. Une question que je pose à ma mère dans le film, rôle qui était écrit pour ma propre mère, disparue trois ans plus tôt. Ce film me tenait à cœur car je pouvais y parler de mes trois filles jouées par Lou, Natacha Régnier qui incarnait Charlotte et la petite Adèle Exarchopoulos qui y faisait ses débuts au cinéma ! Je suis fière de l’avoir découverte. Et j’ai eu la chance inouïe que tous mes acteurs me disent oui tout de suite
Et vous confiez le rôle de votre père à Michel Piccoli…
Il m’a appelé un soir. Je lui expliquais que j’étais en train de préparer le découpage de mon film. Et là il me demande pourquoi je ne lui ai pas demandé de jouer dedans. Il était alors sur scène tous les soirs dans Le Roi Lear donc je n’avais pas osé. Il m’a alors expliqué qu’il était libre dans une semaine et a déboulé. Il a joué pour rien. J’avais demandé à Geraldine de jouer mon rôle mais elle se trouvait trop âgée et a préféré jouer ma mère qu’elle connaissait bien. Je ne pouvais trouver plus magique comme parents ! John Hurt, Tcheky Karyo, Maurice Bénichou, Annie Girardot pour ce qui restera comme son dernier rôle au cinéma bien qu’encombrée par son maladie d’Alzheimer aussi sont venus pour zéro euro. J’ai eu l’équipe technique de mes rêves. Vous vous rendez compte de ces preuves d’amour !
Vous vous sentiez comment en chef d’équipe ?
Vraiment très bien. Au départ, je ne pensais vraiment pas jouer mon rôle. J’avais demandé à Patricia Arquette mais elle était prise par un téléfilm. Je me suis donc retrouvée à le jouer et je pense que ça m’a aidé dans tout le travail avec les acteurs comme avec l’équipe
Quand elle se lance dans Jane par Charlotte, Charlotte raconte que vous n’étiez pas vraiment emballée à l’idée qu’elle fasse un documentaire sur vous. Pour quelle raison ?
C’est vrai ! En fait, la question n’était pas d’être pour ou contre l’idée de faire un documentaire sur moi. Au départ, je pensais qu’il allait s’agir d’un documentaire classique qui reviendrait sur mon parcours, de mes débuts dans une comédie musicale à 17 ans jusqu’à aujourd’hui. Sauf que dans la première scène que nous avons tourné ensemble à Tokyo, elle m’a emmené dans la maison d’Ozu et j’ai vu avec panique qu’elle avait un énorme dossier sous les bras ! Et quand elle m’a posé sa première question – pourquoi on n’est pas plus proches ? -, j’ai encore plus paniqué à l’idée des suivantes que contenait son dossier ! (rires) Donc j’ai décidé de tout arrêter car je ne me sentais pas livrer des choses aussi intimes devant une équipe de cinéma que je ne connaissais pas. Ca allait plus ressembler à Sonate d’automne qu’à autre chose. Je ne pouvais rien faire d’autre qu’imaginer toutes les choses que j’avais mal fait. Et je n’avais aucune envie d’arpenter ce chemin de croix.
Et pourquoi avez- vous malgré tout continué ?
D’abord j’ai été surprise de voir qu’elle était surprise que je puisse lui dire non ! Et puis, comme je suis partie donner une série de concerts, j’ai passé beaucoup de temps chez elle car elle y a vécu pendant 6 ans. Et là, on a finalement repris et je ne sais pas pourquoi, est- ce le fait d’être sur les toits ? – mais j’ai oublié l’équipe. Tout devenait en fait une excuse pour être ensemble et pur bonheur. Et là je me suis dit que si tout le reste est comme ça, c’est peut- être la manière pour elle que je puisse répondre aux questions qu’elle n’avait jamais osé me poser. Donc il fallait que je réponde présente. Là, j’ai compris que c’était avant tout un film sur un enfant en quête de sa place que sur ma personne ou ma carrière. Je crois que j’ai accepté ce documentaire pour qu’elle aille mieux. Et elle m’a dit des choses qui m’ont réellement bouleversée. Et en même temps, le propos est vraiment universel. Chaque famille pour s’y retrouver
Si quelqu’un faisait une fiction sur votre vie aujourd’hui, qui verriez- vous pour vous incarner ?
Valeria Bruni- Tedeschi et sa fantaisie incroyable. Je l’adore !
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