Rencontre avec Daisy Ridley, provisoirement échappée de Star Wars, et la réalisatrice Rachel Lambert, autour de leur entêtant portrait d’une femme souffrant de phobie sociale.
Dans une petite ville portuaire, en Oregon, Fran (Daisy Ridley) est une employée de bureau qui pourrait mener une vie confortable si elle n’était constamment paralysée par sa phobie sociale et ses angoisses de mort, qui la propulsent régulièrement dans des espaces mentaux surréalistes. L’arrivée d’un nouveau collègue de bureau va chambouler son existence… La phrase précédente pourrait être tirée du pitch d’une rom-com gentillette, mais La Vie rêvée de miss Fran (alias Sometimes I think about dying en VO) est beaucoup plus malin que ça : c’est un drôle de film, minimaliste et poétique, à la fois revêche et séduisant, sur une femme s’ouvrant tardivement au monde. Raconté en sourdine, avec beaucoup de finesse. Pour Daisy Ridley, c’est l’affirmation d’un goût pour le cinéma indépendant, après ses années Star Wars (et en attendant l’épisode X, le premier de la saga à être réalisé par une femme, Sharmeen Obaid-Chinoy), ainsi qu’un témoignage de ses ambitions de productrice. Rencontre avec l’actrice et sa réalisatrice Rachel Lambert.
Première : Le titre français de votre film lui donne un petit côté feel-good. En VO, c’est plus sombre : Parfois je songe à mourir…
Daisy Ridley : Oui, mais je trouve qu’avoir deux titres souligne que l’expérience de ce film est très subjective. Les réactions des spectateurs divergent énormément devant La Vie rêvée de miss Fran. Ma mère, par exemple, en est sortie en larmes. D’autres sont morts de rire, parce qu’ils sont séduits par les touches d’humour noir. Il y a deux titres, comme pour dire qu’il y a plusieurs façons de voir ce film.
Daisy, Rachel, comment vos chemins se sont-ils croisés ?
Rachel Lambert : Le scénario du film m’a été envoyé par mon producteur Alex Saks, fin 2020, et mon premier désir, instantané, a été que Daisy interprète le rôle de Fran. On lui a envoyé le script, elle l’a lu et a tout de suite exprimé l’envie de s’impliquer pleinement dans le processus créatif, qu’on fabrique le film ensemble.
Daisy Ridley : Aussi simple que ça. J’ai lu le scénario, je l’ai adoré, on a fait le film ! D’ordinaire, ces choses prennent un temps fou, on aime un script et on n’en entend plus parler pendant deux ans. Parfois on collabore à des projets en gestation depuis sept ans… Là, en un an, c’était fait. Une vitesse inhabituelle.
Et cette envie de produire, Daisy ? D’où vient-elle, et est-ce que ce statut de productrice a un impact sur votre travail d’actrice ?
Daisy Ridley : On s’est vite mis d’accord avec Alex, le producteur, sur le fait que le film devenait plus facilement réalisable si on se cotisait et qu’on unissait nos forces. Mais une fois sur le plateau, à Portland, je ne crois pas que ça ait changé quoi que ce soit. Rachel maîtrisait très bien son set, l’emploi du temps, elle permettait à toute l’équipe de s’épanouir et d’expérimenter, et elle m’a parlé de la même façon qu’elle l’aurait fait si je n’avais pas été productrice. Le temps du tournage, j’étais juste une actrice.
Votre jeu – et le film tout entier – parviennent à captiver tout en étant dans la retenue, le minimalisme. Les scènes les plus scotchantes vous montrent hagarde, silencieuse, dans ces ambiances un peu tristounes… Comment passionner le public sans, hum, faire grand-chose ?
Daisy Ridley : Mais je fais plein de choses, figurez-vous ! (Rires) A l’origine, il y avait dans le script une voix off, la voix intérieure du personnage, qui rythmait toute l’intrigue. Mais on ne l’a finalement pas utilisé. J’ai décidé de m’en servir comme si c’était des indications de jeu. Quand vous me regardez ne rien dire, je suis en réalité plongée dans ce monologue intérieur. Bien sûr, beaucoup de choses passent aussi par le corps. Je me suis dit que Fran était le genre de personne qui ne veut pas prendre trop de place, alors elle se tient comme si elle était enfermée dans sa coquille. Et son pas est léger, parce qu’elle ne veut pas faire trop de bruit.
A quel moment avez-vous décidé de supprimer cette voix off ?
Rachel Lambert : Je voulais m’en débarrasser dès le début !
Daisy Ridley : Non ?! Je ne savais pas.
Rachel Lambert : Et Daisy a fini par dire : "Et si on s’en servait plutôt comme des indications de jeu ?", ce qui prouvait qu’elle était une super collaboratrice. On a quand même enregistré un peu de cette voix off, pour se laisser la possibilité de s’en servir au montage. Mais dès la première prise, dès le premier plan de Daisy silencieuse, j’ai su qu’on allait pouvoir faire sans. Daisy habitait le plan avec tellement d’intensité, elle mettait tellement de pensée à l’image, que ça suffisait. D’ailleurs, à chaque fois que je revois le film, alors qu’elle ne dit pas un mot pendant 20 minutes, je suis persuadée de l’entendre parler. Juste par la façon dont elle habite le cadre !
La description de cette petite vie de bureau à la The Office dans laquelle évolue Fran est une caricature, mais très tendre, très chaleureuse…
Daisy Ridley : Il n’était pas question d’être condescendant. Ces scènes de bureau, ça pourrait être un documentaire. C’est un groupe de gens que tout le monde pourrait connaître et peut comprendre. Leurs vies sont riches et détaillées. Le film traite tous ses personnages comme il se traite entre eux, avec beaucoup de respect et de gentillesse. Je pense que tous les films n’ont pas à montrer des feux d’artifices. Ici, on regarde plutôt du feu sous la cendre. Bientôt, des flammes vont prendre, grâce aux liens que Fran va parvenir à tisser.
Le charme bizarre du film doit beaucoup à cet acteur, Dave Merheje, qui joue ce collègue sympa, un peu étrange…
Rachel Lambert : Oui, je l’ai découvert dans la série Ramy ! J’ai cru que c’était un non-professionnel tellement son jeu paraissait frais et spontané. Mais, renseignement pris, Dave fait du stand-up. Je travaille souvent avec des gens qui un background dans la comédie ou l’impro, j’aime la façon dont leur cerveau crépite et lance des idées inattendues. Dave apporte la bonne énergie au film.
Le film traite de phobie sociale. Daisy, vous êtes comment, vous, en société ? Quel impact sur votre rapport aux autres a le fait d’être non seulement actrice, mais l’un des visages de la saga la plus connue de la planète ?
Daisy Ridley : Je n’ai jamais été très sociable. Quand je suis à l’aise, je suis très à l’aise, et quand je suis mal à l’aise, je suis très mal à l’aise. J’ai un gros problème avec le eye contact, il me faut un bon moment pour l’établir. Et il peut m’arriver d’aller dîner avec de très bons amis et de quand même trouver que c’est une épreuve difficile, sinon insurmontable. La célébrité a eu tendance à me rendre méfiante des nouvelles rencontres. Genre : "mais que voulez-vous de moi, à la fin ?". Désormais, les choses se sont un peu calmées, je pense que je suis… raisonnablement cynique ! (Rires) En fait, je suis beaucoup plus à l’aise au travail que dans la vie en général. Au travail, je sais pourquoi je suis là, ce que j’ai à faire.
On pourrait penser que La Vie rêvée de miss Fran symbolise votre virage indé, mais vous avez signé pour Star Wars X. Beaucoup de jeunes acteurs et actrices sortent rincés de leurs expériences dans ces énormes franchises, notamment à cause d’un fandom parfois toxique… Donc pas de choix entre grosses machines et petits budgets ? Vous continuez de voir le verre Star Wars à moitié plein ?
Daisy Ridley : Oui, je pense que je le vois à moitié plein. Depuis le dernier Star Wars, j’ai fait quelques films indé, certains plus gros que miss Fran, des films de toute taille, en fait. Ils sortent en ordre dispersé. Je n’avais pas prévu de faire un autre Star Wars, mais j’ai raisonné avec ce film comme avec n’importe quel autre : est-ce que le projet, le script et les gens avec qui je vais le faire me plaisent ? L’idée de ce nouvel épisode est très excitante donc je suis heureuse d’en faire partie. Voilà ce que je veux faire dans ma carrière : jouer dans des films qui ne se ressemblent pas, travailler avec des cinéastes très différents les uns des autres.
La Vie rêvée de Miss Fran, de Rachel Lambert, avec Daisy Ridley, Dave Merheje, Parvesh Cheena… Actuellement au cinéma.
Commentaires