Le film de John Madden, porté par Gwyneth Paltrow, Joseph Fiennes, Judi Dench et Geoffrey Rush, revient sur France 5.
En mars 1999 sortait Shakespeare in Love, un film de John Madden avec notamment Gwyneth Paltrow, Joseph Fiennes, Judi Dench et Geoffrey Rush, qui venait de recevoir 7 Oscars quand il est arrivé dans les salles françaises. Deux décennies plus tard, il revient sur France 5, précédé non pas d'une excellente réputation comme on pourrait l'imaginer suite à ce triomphe, mais... de moqueries. Au fil du temps, il est en effet devenu le symbole des productions oscarisées qui ne méritaient pas leurs statuettes : à l'époque, c'est le producteur Harvey Weinstein qui aurait tant poussé en coulisses pour qu'il triomphe, au nez et à la barbe de La Ligne Rouge et d'Il faut sauver le soldat Ryan. Alors, est-ce vraiment si nul ? Arrêtons-nous un instant sur cet exemple, mais aussi sur d'autres films à Oscars qui ont fait polémique, pour bien comprendre ce qu'on lui reproche.
Glenn Close tacle Gwyneth Paltrow et son Oscar pour Shakespeare in LoveCe qui est bien avec les Oscars, c’est que la liste des lauréats du meilleur film permet aussi bien de dresser une typologie officielle de ce que doit être un « grand film américain » (des Ailes à Titanic en passant par Eve et Le Parrain) que d’écrire une contre-histoire du cinéma US, en pointant les erreurs de jugement, les fausses valeurs, les grosses baudruches, les navets célébrés en dépit du bon sens. Voici donc notre Flop 5 des Oscars, le worst of de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, cinq films qui étaient tout sauf les meilleurs, et grâce à qui le mot Oscar n’est pas seulement synonyme de chef-d’œuvre mais aussi de vilaine croûte.
Le Tour du monde en 80 jours (Michael Anderson, 1956)
Au mitan des fifties, Hollywood est déboussolée. La concurrence de la télé est violente et l’industrie réagit en fabriquant des films de plus en plus gros, de plus en plus chers, de plus en plus spectaculaires, à voir absolument sur grand écran. Une bonne idée qui engendrera quelques classiques en or massif (souvent signés David Lean) puis l’effondrement du système, quinze ans plus tard. L’Oscar décerné à cette adaptation éléphantesque, interminable et affreusement molle du roman de Jules Verne est bien la preuve que les choses ne tournaient franchement pas rond. Dans le genre mammouths à Oscar, on aurait plutôt placé nos billes sur Les Dix Commandements ou Géant, grands perdants de la 29ème cérémonie. Et dans le genre chef-d’œuvre, 1956, c’était aussi l’année de La Prisonnière du désert. L’un des films les plus complexes, majestueux et influents de l’histoire du cinéma. Un gros succès, qui plus est. Nombre de nominations aux Oscars de La Prisonnière du Désert ? Zéro.
Oliver ! (Carol Reed, 1968)
En 1968 sortent sur les écrans US La Planète des Singes, Rosemary’s Baby, 2001, l’odyssée de l’espace, La Nuit des morts-vivants, The Party, L’Etrangleur de Boston, le Faces de John Cassavetes… C’est une année charnière et blindée de chefs-d’œuvre. Les Oscars ne nommeront aucun de ces films-là et choisiront plutôt de consacrer Oliver !, version Broadway de l’Oliver Twist de Dickens, signée Carol Reed. A vrai dire, on n’a rien contre ce musical un peu patapouf. C’est juste qu’il est devenu l'emblème d’une Académie alors complètement aveugle, incapable de sentir que le vent de l’Histoire a tourné. L’année d’après, elle se rattrapera en couronnant un film classé X sur deux gigolos new-yorkais (Macadam Cowboy). Afin de définitivement reléguer les films comme Oliver ! aux oubliettes. D’ailleurs, qui s’en souvient ?
Miss Daisy et son chauffeur (Bruce Beresford, 1989)
Quand un film est nommé à l’Oscar du meilleur film et que son réalisateur n’est pas nommé à l’Oscar du meilleur réalisateur, c’est en général mauvais signe. Le signe, par exemple, que le long-métrage en question ressemble plus à un téléfilm popote, inoffensif, ennuyeux à mourir. Bluette édifiante sur l’amitié entre une vieille dame et son gentil chauffeur noir, Miss Daisy… a un léger côté Case de l’Oncle Tom, renforcé par le fait qu’il est sorti la même année que l’anthologique brûlot de Spike Lee Do the right thing (seulement nommé, lui, pour le scénario et le second rôle tenu par Danny Aiello). Mais le triomphe de Miss Daisy aux Oscars a surtout révélé que ces prix sont décernés par des gens très, très, très âgés.
Shakespeare in love (John Madden, 1998)
C’est si nul que ça, Shakespeare in love ? Ce film a mauvaise presse mais est-il vraiment plus mauvais que, disons, The Broadway Melody (comédie musicale molle qui remporta l’Oscar en 1930) ou La Vie d’Emile Zola (le premier "biopic à Oscars" de l’histoire) ? Peut-être pas en fait. Mais il est devenu un symbole. Le symbole qu’une campagne promotionnelle menée façon blitzkrieg par le chef de guerre Harvey Weinstein pouvait faire triompher n’importe quel film, et convaincre Hollywood de décerner sa récompense suprême à un crowd-pleaser gentillet plutôt qu’aux terrassants La Ligne Rouge ou Il faut sauver le soldat Ryan, eux aussi nommés ce soir-là et repartis bredouille. Dur à avaler. Depuis ce jour, c’est ainsi : on adore détester Shakespeare in love.
Collision (Paul Haggis, 2005)
Un hit signé Paul Haggis, scénariste pour Eastwood et créateur, rappelons-le perfidement, de Walker Texas Ranger. Une petite hallu collective du milieu des années 2000, un témoignage précieux de l’influence esthétique désastreuse qu’ont pu avoir, à l’époque, Inarritu et les séries télé sur le cinéma "adulte" mainstream. Du cinoche qui se prenait au sérieux et entendait, dans le cas de Collision, disserter doctement sur les fractures raciales de l’Amérique post-11 Septembre et les problèmes de circulation à Los Angeles. Tout un programme. Dans un récent "honest trailer" de Batman Begins, on entendait Ra’s al Ghul énumérer les fléaux de l’humanité ourdi par la Ligue des Ombres au cours des siècles : "Nous avons pillé Rome, ravagé Constantinople… puis lancé la carrière de Justin Bieber et fait gagner l’Oscar à Collision". Voilà. Pas mieux.
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