Ben Stiller dans Nutcrackers de David Gordon Green
TIFF

Signé David Gordon Green, ce portrait d’un tonton égoïste, qui doit s’occuper de ses quatre neveux orphelins, marche sur le fil entre drame indé et farce feel-good.

"Noël est dans trois semaines !", entend-on au détour d’une réplique de Nutcrackers : un timing qui a sans doute poussé Disney+ à mettre en ligne le film le 29 novembre dernier – soit effectivement trois semaines avant les fêtes. Plutôt discrète, à part ça, la mise en ligne : ce nouveau David Gordon Green avec Ben Stiller a été balancé chez nous sans tambour ni trompette. Il faut dire que l’écho médiatique rencontré par le film lors de sa présentation au festival de Toronto en septembre dernier a été plutôt mesuré. Nutcrackers avait pourtant été choisi comme film d’ouverture du prestigieux festival et marquait au moins deux petits événements : le retour du réalisateur David Gordon Green à la dramédie indie après un détour chez Blumhouse (où il a signé trois Halloween et un Exorciste en à peine cinq ans) mais aussi le come-back de Ben Stiller en tête d’affiche d’un long-métrage, ce qui ne lui était pas arrivé depuis 2017 et les Meyerowitz Stories de Noah Baumbach – la superstar du rire des années 90 et 2000 s’étant surtout consacré ces dernières années à ses activités de réalisateur de séries, d’Escape at Donnerama à Severance.

L’affiche de Nutcrackers montre Stiller empêtré dans une guirlande de Noël, avec derrière lui quatre garnements hilares, dont on comprend qu’ils sont les "casse-noisettes" du titre. Ne pas s’attendre pour autant à une comédie familiale tout sourire façon Nuit au musée : le film marche plutôt sur un fil entre farce feel-good et drame indé. Stiller joue Michael Maxwell, un égoïste promoteur immobilier de Chicago, qui débarque au volant de sa Porsche dans une ferme paumée de l’Ohio pour s’occuper à contrecœur de ses quatre neveux, dont les parents viennent de mourir dans un accident de la route.

Livrés à eux-mêmes en attendant qu’on leur trouve une famille d’accueil, les gamins vivent dans une sorte d’expérience éducative alternative du Captain Fantastic qui aurait mal tournée, un Neverland fermier où les rongeurs règnent en maîtres et où des cochons squattent le living-room. L’oncle Michael va-t-il réussir à prendre soin de ces insupportables mouflets mal peignés ? Lâchera-t-il ses tableaux Excel pour faire montre de générosité ? Et retrouvera-t-il un peu de son humanité enfuie en remettant la main sur le coffre à jouets de son enfance ?

Nutcrackers
Disney+

On connaît évidemment les réponses à ces questions, mais on sait gré à Gordon Green et Stiller de ne pas y répondre avec trop de mièvrerie. Super prévisible dans son déroulement, Nutcrackers prend beaucoup de soin à ne jamais verser trop ouvertement dans la sensiblerie – Gordon Green dit avoir été inspiré par les films de moutards grandes gueules du début des années 80 type Six Pack ou Kidco, où les jeunes protagonistes étaient plus badass que dans les productions Amblin de la même époque.

Les quatre enfants du film (qui sont quatre frères dans la vie aussi, les fils d’une vieille copine de fac de DGG) sont effectivement de vraies teignes, pas du tout d’adorables têtes blondes, qui exigent par exemple que Tonton Mike leur fasse un cours d’éducation sexuelle au petit déjeuner, ou bien testent son courage en lui demandant d’aller égorger un poulet dans la basse-cour. Où l’on retrouve le goût de Gordon Green pour les instantanés d’enfance saisis en rase campagne, petit talent qui l’avait instauré au temps de ses premiers essais des années 2000 (George Washington, L’Autre rive) en espoir de la scène indé US.

Et Stiller, alors ? Malgré l’air de pré-retraite qui planait sur sa filmographie ces dernières années, il excelle toujours dans le rôle de l’urbain faussement cool, vraiment stressé, cherchant à prouver stupidement sa virilité. Il sait encore, comme à la grande époque, laisser traîner un silence un peu trop longtemps, pour mieux donner un air de délicieux nonsense à la phrase banale qu’il vient de prononcer. On l’adore quand il cherche du réseau, les pieds crottés dans un champ de l’Ohio, et finit par réussir à joindre une collègue à Chicago pour lui demander : "Peux-tu passer chez moi nourrir mes poissons et arroser ma fougère ?"

La psychologie du personnage est par ailleurs très sommairement esquissée, le scénario semble avoir été écrit à la va-vite, mais ce je-m’en-foutisme apparent va bien avec la mise en scène débraillée de David Gordon Green, qui préfère expédier les affaires scénaristiques courantes pour mieux donner à cette sorte de Peter Pan dans le Midwest des airs de joyeux bordel, où les conventions narratives sont gentiment piratées. Et cet art de la désinvolture se marrie in fine assez bien avec la manière dont ce film, modeste et touchant, a été bazardé dans l’indifférence des plateformes de streaming, et dont on l’a découvert, par hasard, sans en attendre grand-chose. C’est la meilleure façon de s’attacher à lui.  

Nutcrackers, de David Gordon Green, avec Ben Stiller, Linda Cardellini, Homer Janson… Sur Disney+