Green Book Viggo Mortensen Mahershala Ali
Metropolitan FilmExport

Le feel-good movie de Peter Farrelly a coiffé au poteau le chef-d’œuvre d’Alfonso Cuarón.

Au petit jeu des pronostics, Roma semblait avoir une longueur d’avance sur Green Book dans la course à l’Oscar du meilleur film. Mais c’est finalement le road-movie réconciliateur de Peter Farrelly (l’histoire de l’amitié entre un pianiste noir et un chauffeur italo-américain dans le Sud ségrégationniste des années soixante) qui s’est imposé comme le grand vainqueur de la soirée. Quelques tentatives d'explications à ce triomphe :

Malgré les critiques, c’est un film suffisamment progressiste pour l’Académie

Au moment où Green Book a été sacré meilleur film, Spike Lee aurait cherché à fuir le Dolby Theater de Los Angeles... Logique venant d’un réalisateur qui, en 1990, alors qu’il venait de réaliser le génial brûlot Do the right thing, avait dû subir le triomphe du gentillet Miss Daisy et son chauffeur, prototype à ses yeux d’un cinéma « Oncle Tom », perpétuant les clichés racistes tout en se donnant bonne conscience. Et Green Book, s’il inverse la proposition de Miss Daisy (cette fois-ci, c’est un Blanc qui est au volant et un Noir sur la banquette arrière) a été critiqué par beaucoup de commentateurs US selon les mêmes termes : comme l’emblème d’un progressisme mou, paternaliste, qui fait mine de questionner l’Histoire du racisme en Amérique pour mieux propager le mythe du « sauveur blanc ». Du whitesplaining, en somme, un film sur la ségrégation fait par des Blancs… pour des Blancs ? Quelques années après la polémique #OscarsSoWhite et en pleine présidence Trump, couronner le BlacKkKlansman de Spike Lee aurait sans doute été, d’un strict point de vue politique, un message plus fort. Mais pour la majorité des votants de l’Académie, manifestement, le message anti-raciste de Green Book était suffisamment éloquent.

Oscars 2019 : le palmarès complet

Il a triomphé du bad buzz

En septembre dernier, au Festival de Toronto, Green Book commençait très bien la saison des Oscars en décrochant le Prix du Public, ce qui est souvent bon signe (Slumdog Millionaire, Le Discours d’un Roi et Twelve Years a slave avaient tous été lauréats du People’s Choice Awards avant de remporter quelques mois plus tard l’Oscar du meilleur film). Mais les semaines suivantes se sont transformés en chemin de croix pour l’équipe de Green Book (et surtout ses publicists) : de vieux tweets islamophobes du scénariste Nick Vallelonga ont été exhumés, Peter Farrelly a dû s’excuser d’avoir montré son sexe à Cameron Diaz à l’époque de Mary à tout prix (c’était pour rire, mais ça ne fait plus rire personne aujourd’hui), la famille de Don Shirley (le pianiste joué par Mahershala Ali) a contesté le portrait qui est fait de lui dans le film… Petit à petit, Green Book voyait ses chances s’amenuiser face à Roma, salué partout comme un chef-d’œuvre incontestable et qui disposait d’un budget promo monstre (on parle d’une campagne à 25 millions de dollars). Mais aucun des obstacles rencontrés par Green Book sur son chemin ne se sera révélé fatal.

C’est un crowd-pleaser, un feel-good movie, du beau cinéma… bref, un film à Oscars

Peut-on en vouloir aux Oscars de ne pas avoir couronné un film mexicain en noir et blanc porté par une actrice inconnue et composé de plan-séquences ultra-sophistiqués ? Dans un monde idéal, bien sûr, les Oscars récompenseraient les meilleurs films, les grands chefs-d’œuvre du septième art, et Roma, en toute logique, aurait obtenu la récompense suprême. Mais les Oscars ne récompense pas les meilleurs films, non, ils récompensent les meilleurs films à Oscars. Nuance. Danse avec les loups plutôt que Les Affranchis, Forrest Gump plutôt que Pulp Fiction (pour citer des duels entre de grands films) ou, dans un registre plus extrême, Shakespeare in Love plutôt que La Ligne Rouge. Le film à Oscars est un genre en soi : consensuel, œcuménique, « concerné » mais pas trop dérangeant, engagé mais pas sulfureux… Et dans le genre, Green Book est un monument : un film qui parle de sujets qui fâchent mais laisse ses spectateurs sortir de la salle le sourire aux lèvres. Un grand film ? On peut en débattre. Un grand film à Oscars ? Incontestablement.