Pourquoi Julia Roberts a laissé tomber Shakespeare in Love
Miramax/Abaca

La star avait convaincu Universal de faire le film, mais ses auditions avec Ralph Fiennes ou Hugh Grant l'ont finalement découragée.

On connaît les coulisses de la victoire de Shakespeare in Love aux Oscars, en 1999, face aux favoris La Ligne Rouge et Il faut sauver le soldat Ryan, grâce aux manoeuvres de son influent producteur Harvey Weinstein. Cela lui a donné la réputation de film mal-aimé, récompensé alors qu'il le méritait moins que d'autres oeuvres sorties cette année-là. Ce long-métrage inspiré par le travail de William Shakespeare, réalisé par John Madden et porté par Gwyneth Paltrow, Joseph Fiennes, Judi Dench et Geoffrey Rush, est-il vraiment si nul ? On vous laissera trancher, mais une chose est sûre : il aurait pu être très différent.

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L'un de ses producteurs, Edward Zwick (le réalisateur de Légendes d'automne), raconte dans un essai pour Air Mail les coulisses de sa fabrication, et il y détaille un fait méconnu : à l'origine, c'est Julia Roberts qui devait en tenir le rôle féminin principal, avant que Gwyneth Paltrow ne soit engagée et ne remporte une statuette pour son incarnation de Viola de Lesseps. Il raconte même que c'est grâce à l'intérêt que portait la star de Pretty Woman et de Hook à ce film qu'Universal s'est décidé à le soutenir financièrement.

Sauf qu'à l'en croire, la comédienne n'avait qu'un acteur en tête pour le rôle du célèbre écrivain : Daniel Day-Lewis. Déçue qu'il ait été engagé sur Au nom du père, de Jim Sheridan, au même moment, elle aurait alors passé les auditions avec d'autres candidats à reculons, peu enthousiaste et n'ayant pas travaillé son accent anglais. Anecdotes amusantes après coup : il nomme parmi eux Ralph Fiennes, le frère du comédien finalement casté pour le rôle principal, ou Hugh Grant, qui charmera quelques années plus tard Julia Roberts dans Coup de foudre à Notting Hill, alors qu'ici leur lecture du scénario en duo n'avait visiblement pas fait d'étincelles ! Roberts aurait fini par jeter l'éponge, et cela aurait coûté 6 millions de dollars au studio, qui avait notamment commencé à faire construire les décors. Universal est resté en tant que distributeur international de Shakespeare in Love, qui a finalement été produit quelques années plus tard par Miramax (Edward Zwick ne situe pas précisément quand s'est déroulée cette histoire, mais avec la mention de Daniel Day-Lewis, on comprend qu'il s'agit de 1992-1993, puisque ce drame irlandais est sorti à la fin de cette année-là).

En 1999, Julia Roberts présentait Coup de foudre à Notting Hill dans Première

Voici des extraits du long essai d'Edward Zwick à propos de Shakespeare in Love intitulé "Not to be" :

"La simple possibilité d'avoir Pretty Woman portant un corset a attiré le studio, au point qu'ils ont immédiatement donné le feu vert, commence son producteur. Dix semaines plus tard, j'étais de retour à Londres, où une copie du premier scénario de Tom Stoppard est arrivée dans ma chambre d'hôtel luxueuse."

A propos du casting de Daniel Day-Lewis : "(Elle n'arrêtait pas de répéter) : 'Il est brillant, beau et intense, et si Drôle ! Tu l'as vu dans Chambre avec vue ? Et puis il a joué du Shakespeare. Tu ne crois pas qu'il serait parfait ? Je pourrais l'avoir.' (Elle a demandé à son assistant) d'envoyer deux douzaines de roses à Daniel Day-Lewis, avec une carte disant : 'Sois mon Roméo'. Puis (la veille de sa première lecture, ndlr) elle a reçu sa réponse et l'a laissée tomber au sol, a pris son sac et a prétexté avoir oublié un rendez-vous avec un vieil ami, et s'est enfuie. (il raconte alors qu'lele ne s'est pas présentée le lendemain) Elle m' expliqué ensuite que Daniel allait faire notre film et que je pouvais annuler mon casting du jour." Zwick détaille avoir lui-même rencontré Day-Lewis, qui lui a confirmé être déjà engagé sur Au nom du père, ce qui a mis fin à leurs discussions à propos de Shakespeare in Love.

A propos de son casting avec Ralph Fiennes : "Même si Ralph a tout fait pour qu'elle esquisse son fameux sourire, Julia l'a à peine calculé. Je ne dis pas qu'elle faisait exprès de saboter la lecture, n'empêche que ce fut un désastre. J'ai essayé d'attirer l'attention de Ralph pour m'excuser avant qu'il parte, mais il s'est sauvé à toute vitesse. Quand il n'était plus là, je me suis tourné vers Julia pour voir sa réaction. 'Il n'est pas drôle', a été son seul commentaire. La fin de cette journée, ainsi que celles qui ont suivi, ça a été de pire en pire. Je n'ai plus ma liste de casting complète, mais elle a aussi rencontré des comédiens qui n'étaient pas encore découverts comme Hugh Grant, Rupert Graves, Colin Firth, Sean Bean ou Jeremy Northam. Julia leur trouvait toujours des défauts. L'un était trop pincé, un autre n'était pas assez romantique, etc."

Au bout de deux semaines, elle a finalement fait une lecture catastrophique face au comédien Paul McGann (Doctor Who), raconte Edward Zwick : "Le matin, elle est sortie de la salle de maquillage, resplendissante dans son costume d'époque. Mais dès qu'elle a commencé à dire son texte, quelque chose clochait. Il n'y avait plus de magie. Ce n'était pas un problème de script, ni de son partenaire. C'était Julia. Dès qu'elle a parlé, il est devenu clair qu'elle n'avait pas travaillé son accent. En sentant qu'elle était mal à l'aise, j'ai essayé de l'encourager, mais elle a dû sentir que j'étais moi-même dans cet état et cela n'a fait qu'accentuer son insécurité. J'ai fait une erreur tragique ici. Elle venait seulement d'arriver en haut de la chaîne alimentaire qu'est Hollywood, elle devait être terrifiée à l'idée d'échouer. Mais je ne lui aurais jamais mal parlé. Le lendemain matin, quand j'ai appelé dans sa chambre, j'ai appris qu'elle était partie."

Le manager de Julia a expliqué qu'"elle était repartie aux Etats-Unis, qu'elle quittait le film." Zwick raconte alors avoir téléphoné à Tom Pollock, le boss d'Universal, qui l'a informé que sa compagnie avait déjà investi 6 millions de dollars dans le projet suite au casting de Julia Roberts. "Ils avaient déjà commencé à construire des décors, fabriquer des costumes et réserver des lieux de tournage", précise-t-il. Pollock lui aurait assuré qu'il saurait faire revenir l'actrice, mais celle-ci est restée sur ses positions.

"Après cela, je n'ai plus jamais parlé à Julia, regrette Zwick. Au lieu de cela, je l'ai observée de loin, je l'ai vue prendre de la grandeur, de la profondeur et acquérir son statut. Je ne lui souhaite que le meilleur. Elle était simplement une jeune femme de 24 ans effrayée. Je n'étais pas beaucoup plus vieux, même si j'essayais d'agir comme un adulte tout en voyant le Théâtre du Globe s'écrouler. Avec mes rêves de grandeur."

Suite à la publication de cet essai, Variety a contacté les représentants de Julia Roberts, mais la comédienne n'a pour l'instant pas réagi à ces révélations.