En hommage à Stuart Gordon, mort hier, retour sur son premier film, classique instantané du cinéma d'horreur.
A quoi ça tient, un classique? Qu’est-ce qui fait le génie de Re-Animator ? Ou, plus précisément, qu’est-ce qui fait que Re-Animator est fondamentalement mieux que n’importe quel autre film d’horreur bien gore et tout aussi culte ? En février 2019, l'éditeur français The Ecstasy of Films éditait une version définitive en blu-ray de son premier long-métrage, le formidable Re-Animator. Une édition qu’on pouvait tranquillement qualifier à la fois d’indispensable et de définitive (la précédente édition dite "collector" du film en France remontait à 2004), grâce à des tonnes de bonus (scènes coupées, longues interviews) et la présence sur deux disques de la version cinéma et de la version "intégrale" (longue de dix-neuf minutes supplémentaires). Cette édition permettait de refaire le point. Formidablement répugnant (annonciateur du Braindead de Peter Jackson par son aspect cartoon jusqu’au-boutiste), foncièrement jouissif, avec un thème musical passé dans le répertoire (pas le seul grand coup de la carrière de l’inventif Richard Band, qui a joliment illustré les Puppet Master), le jeu pète-sec de Jeffrey Combs qui ressemble au petit frère nerd de Bruce Campbell... Non, si on y réfléchit bien, le véritable coup de génie de Re-Animator, c’est le sexe.
Mais reprenons depuis le début. La nouvelle d’origine, Herbert West, réanimateur, publiée en 1922, était dans la droite ligne des textes « classiques » de Lovecraft : l’histoire (assez brève, et très inspirée par Frankenstein de Mary Shelley) d’un médecin obsédé par l’idée de redonner vie aux morts, qui finira dépecé par une horde de zombies. Comme d’habitude chez H.P. Lovecraft, le texte est assez elliptique, raconté de loin, avec répugnance, du point de vue d’un ami du personnage principal. Bien que localisé dans le "pays de Lovecraft" (la ville imaginaire d’Arkham et son université de Miskatonic), le récit se situe aussi en marge de la cosmogonie lovecraftienne et se lit comme un excellent pulp d’horreur cannibale. L’adaptation cinéma tournée en 1985, est le premier film réalisé pour le grand écran par Stuart Gordon, venu du théâtre expérimental : tout comme Lovecraft, il pense son film comme une version contemporaine de Frankenstein (la suite de Re-Animator, en 1990, s’appellera d’ailleurs Bride of Re-Animator). Avec l’aide de son compère producteur Brian Yuzna (réalisateur de l’inestimable et très anti-lovecraftien Society, où la haute société WASP est faite de monstres partouzeurs), il injecte surtout une grosse dose de sexualité dans l’œuvre du romancier, pas vraiment réputé pour son goût pour la gaudriole.
Impossible d’oublier cette scène où la tête tranchée du méchant docteur Hill lèche le corps nu de Barbara Crampton. À l’époque juste aperçue dans Body Double, elle gagnera ici ses galons de scream queen de légende, en incarnant la vraie héroïne du film, celle autour de laquelle toute la pulsion sexuelle du film gravite même au-delà de la mort. Les étoiles étaient toutes alignées pour faire de Re-Animator un classique, mais tout son génie est résumé dans cette scène viscérale et jouissive. Rien d’original au fait de fournir de la nudité féminine et de l’hémoglobine aux fans de cinéma de genre, d’accord. Mais le tandem Gordon-Yuzna a compris d’instinct qu’une version cinéma de Lovecraft ne saurait fonctionner sans un sérieux shoot d’hormones, pour ne pas finir dans les abîmes du nanar : les précédentes adaptations stricto sensu de HPL, qui tentaient de faire peur à coups d’horreur cosmique (par exemple le navet Horreur à volonté produit par Roger Corman en 1970 d'après L'Abomination de Dunwich), sont difficilement regardables aujourd’hui. Re-Animator, lui, bande encore et toujours.
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