Abaca

Visiblement, la 91ème cérémonie des Oscars aura été compliquée à mettre en place. La dernière décision de remettre quatre Oscars pendant la pub a déclenché une polémique et obligé l’Académie à faire marche arrière. 

Cette 91ème cérémonie des Oscars aura été un chemin de croix pour l’Académie. Pas de présentateurs (après le départ de Kevin Hart), une catégorie du film le plus populaire annoncée avant d’être annulée face aux réactions de cinéastes ou de personnalités du showbiz… Mais le pire est ailleurs. 

Quand vous lirez le prochain numéro du magazine Première, l’édito sera déjà obsolète car l’erreur est réparée… Il s’agissait à la base d’un coup de gueule, une réaction instantanée quand on avait pris connaissance de la nouvelle règle de diffusion des Oscars. Depuis une semaine, la polémique ne cessait d’enfler. En cause, donc, la demande de la chaîne ABC qui, pour rebooster des audiences en berne, avait décidé de réduire le programme à trois heures, et demandé à l’Académie de sacrifier quatre remises de prix.

Les Oscars de la photographie, du montage, des maquillages/coiffures et du meilleur court-métrage auraient donc dû être remis pendant la coupure pub. De très grands cinéastes dénoncèrent immédiatement cette nouvelle organisation. Martin Scorsese et Quentin Tarantino, ainsi que des nommés de ces catégories reléguées (Caleb Deschanel et John Ottman) avaient par exemple signé une lettre ouverte arguant que "reléguer ces arts essentiels du cinéma à un statut insignifiant n’est rien d’autre qu’une insulte pour ceux qui ont dédié leur vie à ces professions". Un peu plus loin la lettre expliquait que "cette réduction et cette censure potentielle de la Cérémonie est contraire à l’esprit et à la mission de l’Académie".

De son côté, Guillermo del Toro, après avoir diffusé sur twitter une photo de lui et de son monteur (expliquant que "La Forme de l’eau n’existerait pas sans Sidney Wolinsky"), précisait : "le montage et la photographie sont au cœur même de notre art."

Oscars 2019 : quatre prix seront remis pendant les publicités

Les raisons de ce qu’on ne peut pas appeler autrement qu’une censure restent nébuleuses. Certains esprits échauffés imaginaient la semaine dernière des théories du complot (industriel) estimant que ces quatre catégories avaient été choisies non pas au hasard, mais parce qu’aucun film de la Walt Disney Company n’y concouraient, Disney étant par ailleurs propriétaire de la chaîne ABC… D’autres estimaient que c’était peut-être pour éviter un discours supplémentaire de Cuaron qui truste beaucoup de catégories et risque d’enchaîner les passages sur scène (le cinéaste de Roma est nommé dans la catégorie meilleure directeur photo).

Quoiqu’il en soit, la polémique était d’autant plus violente (et légitime) que l’ombre qui abrite leurs corps de métier aura continuellement empêché de donner au chef op, au monteur, au maquilleur la même notoriété que celle des cinéastes qu’ils accompagnèrent. On rappellera ici quelques évidences. Il n’y aurait pas eu de Nouvel Hollywood sans Vilmos Zsigmond ou Vittorio Storaro ; pas de Martin Scorsese sans Thelma Schoonmaker, pas de Michael Mann sans Dion Beebee, ni de génies mexicains sans le génie de Lubetzki. Le Parrain n’existerait pas sans l’art subtil de Peter Zinner et Walter Murch est autant le créateur de Conversation secrète que Francis Ford Coppola. Le cinéma aurait un look sacrément différent (et terne ou triste, ou atone) sans Verna Fields, Marcia Lucas, Michael Kahn, Kirk Baxter et Angus Wall, Robert Richardson, Conrad Hall, Janusz Kaminski, Anthony Dod Mantle…

Les "invibiliser", les faire disparaître d’une grande manifestation publique, c’est nier la spécificité de cet art, refuser de voir l’essence même du cinéma, organiser un simulacre de prix du cinéma. C’était une erreur désastreuse que l’Académie a finalement reconnue en revenant sur sa décision. En catimini, sans communiqué, sans explication. Mais heureusement, les artistes de l’ombre recueilleront dimanche soir un peu de la lumière qui leur est due.

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