Marchands de douleur
Netflix

Le nouveau David Yates, inspiré par histoire vraie autour du scandale des opioïdes, se perd dans un mélange des genres trop compliqué à orchestrer, malgré une Emily Blunt impériale.

Tragédie meurtrière qui empoisonne et décime la société américaine depuis le milieu des années 2010, le scandale des opiacés et des opioïdes ne cesse d’inspirer le grand comme le petit écran. Après le documentaire de Laura Poitras, Toute la beauté et le sang versé, Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2022 et la série Disney + Dopesick avec Michael Keaton, c’est au tour de David Yates de s’en emparer avec Marchands de douleur.

le réalisateur des derniers volets d’Harry Potter et de la saga des Animaux fantastiques part lui aussi d’une histoire vraie relatée en 2018 par le journaliste Evan Hughes dans un article du New York Times Magazine puis dans un roman. Son enquête démontre comme une start-up pharmaceutique véreuse, Insys Therapeutics, a fait fortune avec un spray anti-douleurs à base de fentanyl, opiacé 100 fois plus puissant que l’héroïne, prescrit pour des besoins et à des doses meurtrières par des médecins qu’ils avaient corrompus.

Comme libéré des contraintes inhérentes aux grosses machines (on lui doit aussi le Tarzan avec Alexander Skasgard et Margot Robbie en 2016), David Yates entreprend de raconter ce scandale qui a fini en justice par le prisme audacieux de la comédie satirique. Il dépeint les membres de cette boîte qui périclitait avant de trouver la martingale comme une bande de pieds nickelés dont nul n’aurait pu deviner l’ascension foudroyante précédant une chute tout aussi abyssale. Et il s’appuie pour cela sur un personnage fictif à l’écriture finement troussée tout à la fois actrice et témoin du scandale.

Chris Evans dans Marchands de douleur
Netflix

Liza, une mère de famille célibataire peinant à joindre les deux bouts pour élever sa fille, va réussir à se faire embaucher dans la start- up avant de devenir une pièce maîtresse de son développement. Dans cette première partie, une loufoquerie savoureuse règne, tant dans l’écriture des situations, l’imagerie colorée de la photographie de George Richmond (Kingsman : Le Cercle d’Or, Rocketman) que le rythme enlevé du récit. Notamment dans la manière totalement décomplexée avec laquelle les employés de cette officine corrompent les professionnels de santé, en choisissant les plus ringards et délaissés par leurs concurrents, d’abord ultra- dominateurs, dont ils vont peu à peu rogner la part de marché. Un petit jeu dans lequel Emily Blunt nous régale d’une composition particulièrement irrésistible en Liza

Seul hic, mais de taille, David Yates ne va pas au bout de son geste. De la même manière que la réalité violente – pour eux et surtout pour leurs victimes – rattrape cette bande d’arnaqueurs à la petite semaine, Marchands de douleur se départit peu à peu de son humour audacieux pour rentrer dans les clous d’un film de pré-procès (les arrestations, les interrogatoires) puis de procès. Sans doute trop ambitieux, le mélange des genres ne fonctionne pas.

Au fil des minutes, Marchands de douleur perd de singularité et rend presque hors sujet la légèreté assumée de sa première moitié devant l’esprit de sérieux qui semble peu à peu prendre le dessus et devant lequel il apparaît alors flagrant qu’un documentaire aurait dans ce cas été plus impactant qu’une fiction. Même si Emily Blunt et l’ensemble du casting (Chris Evans, Andy Garcia ou encore Catherine O’Hara, la maman de Maman, j’ai encore raté l’avion, géniale en mère indigne et sans filtre qui fait honte à sa fille), eux, ne fléchissent en rien. Ils constituent au final la vraie bonne raison de découvrir ce Marchands de douleur.

De David Yates. Avec Emily Blunt, Chris Evans, Andy Garcia… Durée : 2h02. Disponible sur Netflix