"Bruce Willis, Helen Mirren, John Malkovich et Morgan Freeman s’amusent comme des petits fous", écrivions-nous à propos de la comédie d'action à sa sortie, en 2010. Quant à la fin de la trilogie Incassable, de M. Night Shyamalan, elle avait pleinement conquis la rédaction.
Officiellement à la retraite depuis que sa famille a annoncé qu'il souffrait d'aphasie, Bruce Willis sera la star du soir, sur M6. A 21h10, la chaîne proposera Red, de Robert Schwentke, une comédie d'action qui a permis à l'acteur phare de la saga Die Hard de bien s'amuser, en 2010, aux côtés de Helen Mirren, John Malkovich et Morgan Freeman. C'est cependant le seul point fort de ce film finalement pas si réussi. Malgré l'enthousiasme de ses comédiens, la rédaction de Première s'était rapidement lassée du spectacle :
Red sort en France en pleine crise à propos de la réforme des retraites. Il n’est donc pas certain que les leaders syndicalistes apprécient cette comédie policière où d’anciens agents de la CIA mis sur la touche n’ont qu’une envie : reprendre du service. Difficile de ne pas s’apercevoir que le scénario – une histoire de complot au sein des services secrets comme on en voyait treize à la douzaine dans les années 80 – est, lui, totalement arthritique.
Peu importe, c’est le casting qui mène la danse. En totale roue libre, Bruce Willis, Helen Mirren, John Malkovich et Morgan Freeman, visiblement enthousiastes à l’idée de jouer des 007 sur le retour, s’amusent comme des petits fous. Nous, un peu moins car Red tourne rapidement à vide. Si les tribulations de ces papys flingueurs ont le vrai charme d’un plaisir coupable, voir ce quatuor d’excellents acteurs dans une pochade façon cinéma de papa finit par lasser.
En revanche, le film proposé à partir de 23h15 fut un coup de cœur pour notre équipe, en 2019. Glass, un thriller chargé de boucler la trilogie de M. Night Shyamalan débutée par Incassable (2000) et Split (2016), accomplissait cette mission avec brio, tout en offrant une lecture méta au public surnourri aux films de super-héros ces dernières années. Bruce Willis y était touchant, de retour en David Dunn, bien que son personnage soit le moins bavard et expressif des trois : à ses côtés, James McAvoy est toujours aussi inquiétant en Kevin Wendell Crumb/La Bête, et Samuel L. Jackson est au comble du machiavélisme dans le fauteil d'Elijah Price. Voici notre critique :
La fin de Split, amusante relecture Blumhouse (entendez, ironique, méta et cracra) des films de superhéros, nous avait laissés KO. On y voyait Bruce Willis, toujours aussi hiératique, observer d’un œil sévère cabotiner James McAvoy. D’un coup, en un plan “shyamalanesque” (caméra à mi-hauteur cadrant furtivement le personnage), la mythologie Incassable nous revenait en pleine figure. David Dunn, le Superman près de chez vous, était de retour, prêt à affronter La Bête, la personnalité la plus flippante du schizophrène XXL Kevin Wendell Crumb. Restait à intégrer à l’équation Elijah Price, l’homme de verre, incarné par le charismatique Samuel L. Jackson dans le film séminal d’origine. Séminal ou simple élément d’un puzzle dont les pièces majeures seraient contenues dans Glass, clef de voûte du Shyamalan Universe ?
Shyamalan an III
Les vingt premières minutes sont la suite directe de Split avec David Dunn, désormais épaulé par son fils Joseph (joué par le même acteur, à 19 ans de distance), qui traque La Bête, ravisseur de quatre pom pom girls enchaînées dans une bâtisse désaffectée. James McAvoy fait de nouveau le show, en passant de l’enfant zozoteur à la maîtresse-femme ou au doctorant avec un plaisir partagé. De son côté, Bruce Willis débite ses dix dialogues du film avec le ton monocorde qui le caractérise. L’affrontement a finalement lieu. Il se révèle aussi spectaculaire qu’une engueulade dans un Nuri Bilge Ceylan et se clôt d’ailleurs par une capture en bonne et due forme par les forces de police. Bienvenue chez Shyamalan, le vrai, celui d’avant les bides colossaux et le trompeur mais réjouissant Split -qui devait répondre aux canons du style Blumhouse ; celui des longs tunnels de dialogues méta et existentiels et des plans énigmatiques où se loge l’imaginaire du spectateur.
Les comics c’est moi
Place désormais à l’asile, décor principal de Glass dans lequel Dunn et Crumb vont retrouver Elijah Price, mutique et cloué dans son fauteuil. « Mon film tente l’amalgame entre Superman et Vol au-dessus d’un nid de coucou », nous déclarait récemment Shyamalan -lire sa passionnante interview dans le numéro de Première actuellement en kiosques. De fait, tous les éléments du film d’asile sont en place : les décors désincarnés, les aide-soignants brutaux, l’infirmière mielleusement sadique. Pas une infirmière, pardon, une psy : interprétée par Sarah Paulson, cette Ellie Staple va tenter de nous faire gober, ainsi qu’aux trois larrons, que le superhéroïsme n’existe pas, que ce n’est qu’une vue de l’esprit malade de ses patients. Shyamalan poursuit sa déconstruction de la mythologie comics entamée dans Incassable où David Dunn ne se résolvait pas à accepter sa condition sur laquelle Elijah Price lui ouvrait les yeux. Tout cela était-il donc faux ? Simple mascarade découlant de nos envies de bravoure ou de nos délires mégalomanes, alimentés par le hold-up des comics sur la pop culture ? En filigrane, Shyamalan tacle Marvel et DC qui ont dévoyé l’esprit troupier et innocent des comics pour en faire des symboles de la toute-puissance américaine. Ce faisant, il se place en véritable gardien du temple, quitte à agacer -ce sera certainement le cas.
Supertwist
À la faveur d’un dernier tiers, consacré à la tentative d’évasion des trois inséparables (malgré eux), Shyamalan s’autorise un twist dont il a le secret. Un twist moins surprenant que raccord avec sa vision d’un monde gouverné par les peurs enfantines et la croyance dans des histoires à dormir debout. Glass est bien le grand film méta attendu, le commentaire sur la filmo de Shyamalan en même temps que la fermeture bouleversante d’une parenthèse cinématographique dont on n’a pas fini d’explorer les mystères et les significations souterraines.
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