L'actrice principale du thriller de David Fincher parle de son rôle très riche.
Alors qu'on attend de pied ferme la diffusion de Mank sur Netflix (ce sera pour le 4 décembre), France 3 rediffuse Gone Girl, le dernier film de David Fincher, en ce jeudi soir. A sa sortie, en octobre 2014, Première avait rencontré le réalisateur, ainsi que son actrice principale, Rosamund Pike, qui a reçu l'Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation d'Amy Dunne.
Gone Girl/Mank : Pourquoi David Fincher n'a pas tourné de film depuis six ans ?
Première : Comment parler d’un film qui repose à ce point sur les twists et les faux-semblants ?
Rosamund Pike : Le trailer est très ingénieux, il met en appétit mais s’engage à peine dans les eaux étranges et corrompues dans lesquelles navigue le film, et ça c’est le génie marketing de Fincher. L’histoire d’Amy, mon personnage, est tellement plus complexe que tout ce que vous êtes en mesure d’imaginer à ce stade, d’après cette bande-annonce… Il y a des flashbacks tout du long, et j’interprète Amy à différents stades de sa vie. C’est un personnage extraordinaire. Le film parle des balbutiements d’une relation, l’idée que l’on joue tous une version enjolivée de nous-mêmes quand on rencontre quelqu’un. Certaines personnes sont plus adroites que d’autres à ce jeu-là… Gillian Flynn, dans le roman, part de l’idée que les femmes aiment jouer les « filles cools » quand elles rencontrent un homme : insouciantes, chaleureuses, jamais colériques. Mais si vous jouez ce rôle trop longtemps, que vous n’exprimez aucune colère ou aucun sentiment, vous ouvrez la porte aux ressentiments et courez à l’explosion. Ce qui intéresse vraiment l’auteur dans le roman, c’est la colère chez les femmes. C’est un sentiment qu’on associe rarement aux femmes dans la culture et les médias.
Un thriller du samedi soir ? Une satire ?
C’est un film sur la manière dont on joue tous un rôle en société - sujet parfait pour Fincher. Il est tellement bon quand il arrive à manier de concert le thriller et la satire sociale. Facebook, aujourd’hui, encourage tout le monde à jouer un rôle qui n’est pas le sien, on « édite » nos vies sur internet pour paraître plus beaux, plus avantageux, plus fun… Le film, comme le livre, parle d’une nation de narcissiques. Lorsque Amy disparaît, une énorme campagne de soutien se met en place à travers les Etats-Unis, des veillées sont organisées où les gens tiennent des bougies et se parlent, se soutiennent. Tout un groupe de gens qui ne la connaissaient pas mais qui portent son deuil publiquement. Cette culture du deuil collectif est vraiment étonnante, c’est quelque chose qui a probablement commencé avec la mort de Lady Di. Avant Lady Di, on ne voyait pas de telles démonstrations de chagrin en public. Et on continue aujourd’hui de se réunir en masse pour pleurer nos morts. Gone Girl est l’opportunité pour Fincher, avec son cynisme légendaire, de satiriser tout ça.
Dans Millenium, Fincher « broyait les testicules » de Daniel Craig. Il n’a pas l’air tendre avec celles d’Affleck dans Gone Girl…
Je me rappelle de David, au début de la production, demandant à Ben Affleck s’il tenait beaucoup à son statut de Leading Man dans l’industrie. Et Affleck lui a répondu : « Si c’était le cas, je n’aurais pas accepté ce film ». Comme pas mal de héros fincheriens, son personnage devient un outcast, un exclu de la société. Il fait tout de travers, il ne dit jamais ce qu’il devrait dire, il ne sait pas comment parler à la presse et aux médias. Amy, en revanche… Ses parents sont des psychologues célèbres qui ont écrit des bouquins sur son éducation, du temps où elle était petite. La série des « Amazing Amy ». D’une certaine manière, ils ont créé pour elle une sœur de fiction, qui excellait dans toutes les disciplines où Amy échouait. Quand la vraie Amy se faisait virer de l’équipe de sport, son alter ego partait jouer en équipe nationale. Quand Amy abandonna le violon, sa « sœur » devint un prodige musical. L’Amy de fiction finira même par se marier avant la vraie Amy. Ses parents ont donc créé cette fille idéale face à laquelle Amy n'a jamais pu se sentir à la hauteur. Elle a été élevée dans un monde où les apparences comptent, elle a eu « un public » toute sa vie, elle a une compréhension des « ficelles » du storytelling que son mari, Nick, n’a pas. Il n’était pas préparé à cette tempête médiatique, il n’a pas les armes. Et il commence à se demander s’il n'y a pas quelque chose qui cloche chez lui, et pour quelle raison il n’a pas les armes...
Gone Girl, un film violemment misogyne ?
Vous avez beaucoup de scènes avec Affleck ?J'ai pas mal de scènes avec Ben, mais dans l'ensemble j'ai beaucoup travaillé seule dans mon coin (ça deviendra clair lorsque vous découvrirez le film). Ben, il est en haut de la vague en ce moment. Et il a toute l'assurance et le charisme de quelqu'un qui savoure son succès. Il a gagné des Oscars, il est célébré comme producteur, réalisateur, scénariste, acteur... Je pense que ce rôle cimentera encore plus sa position dans l'industrie. Et c'est très intéressant de travailler avec deux réalisateurs sur le même plateau. Pour un cinéaste comme Ben, voir Fincher travailler d'aussi près était une incroyable opportunité. Je l'ai vu observer, poser des questions à David. « Comment tu fais-ci, comment tu fais ça... ». Fincher a une façon unique de travailler avec les acteurs. Il est très exigeant mais vous soutient à 100 %. Il ne vous protège pas, ne vous cajole pas, ne vous donne pas une couverture douillette et accueillante sous laquelle vous réfugier quand tout va mal. Vous ne vous sentez pas en sécurité mais vous vous sentez soutenu. Il vous fait travailler très dur, vous fait creuser profond (plus profond que je n'ai jamais creusé) pour essayer de déterrer des choses inexplicables. Essayer, et essayer encore... C'est captivant.
David Fincher a casté Ben Affleck grâce à Google Images
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné chez Fincher ?
Sa force de composition, la manière dont il « capte » la physicalité à l'image. Il évolue dans une catégorie à part à ce niveau-là. Il m'a énormément appris sur le langage du corps sur pellicule, la façon dont le corps s'exprime lorsqu'il est filmé, la façon dont tout ça est lu par l'oeil du spectateur... On passe tellement de temps devant la caméra, peut-être deux heures pour tourner une scène. Je n'avais jamais fait ça auparavant. 106 jours de tournage pour un drame, c'est beaucoup. D'habitude, c'est le temps qu'on consacre à un film d'action. C'était un luxe formidable, tout ce temps. On me dit : « Mon dieu, Fincher ! Tu as eu le droit aux terribles cent prises ? Il paraît que c'est un cauchemar ! ». Et ça, je ne pige pas. Pourquoi est-ce que ce serait un cauchemar ? Tous les acteurs ne rêvent-ils pas de disposer d'autant de temps pour expérimenter ? Qu'un acteur qui aime ce métier au point d'en avoir fait sa profession puisse objecter quand on lui demande de jouer, je trouve ça très bizarre. J'ai adoré le processus. Vous avez le sentiment permanent d'être accroché à une falaise. « Et si je n'y arrive pas ? Et si je n'arrive pas à faire ce qui est exigé de moi ? ». C'est effrayant, parfois. Vous êtes très exposée. Mais c'est quand vous avez peur et que vous êtes exposée de la sorte que vous finissez par être récompensée. J'ai eu les cent prises, oui. Mais c'est une sorte de collage ; il explore la moindre nuance dans le jeu et dans la pantomime. On ne sait jamais quelle prise sera utilisée en fin de compte. Ce n'est pas comme si vous ratiez les prises les unes après les autres jusqu'à parvenir à celle qui fonctionne. Non ; c'est une partition à petites et grandes variables. Fincher ne croit pas en la validité de la première prise. Bien sûr, ça existe, j'en ai déjà été témoin sur d'autres tournages (je connais des acteurs qui ne fonctionnent qu'à la spontanéité et au premier instinct), mais pour des films radicalement différents...
Gillian Flynn : "Mon fantasme est devenu réalité. Gone Girl est un film de David Fincher"
Votre première rencontre avec Fincher ?
J'ai fait 12 000 kilomètres pour passer une soirée avec lui. On a commencé par boire de l'eau, puis on est passé au whisky. J'ai pensé : « Ouh, voilà qui est intéressant... ». Mais c'était un peu comme être observé aux rayons X. Il me scannait de la tête aux pieds, regardait mes mains se frotter l'une contre l'autre, mon coude parler à ma cuisse, à quel degré d'inclinaison vrille mon buste lorsque mes jambes se croisent etc… J'ai eu l'impression de passer une IRM.
Interview Benjamin Rozovas
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