9 mois ferme d’Albert Dupontel – diffusée ce soir sur France 3 – lui a valu un César de la meilleure actrice. Elle nous confiait à l’époque son rapport à la comédie.
Dans votre parcours de comédienne sur grand écran, vous êtes venue assez tard à la comédie. Pour quelle raison ?
Sandrine Kiberlain : A l’écran, j'ai eu d’abord et avant tout envie d'exister dans le drame. Tout simplement parce que comme spectatrice, depuis toujours, héroïne rimait forcément avec larmes et drame. Que ce soit chez Bergman, Sautet ou Hitchcock. Avec Les Patriotes puis ma rencontre avec Laetitia Masson dans En avoir (ou pas), j'ai été comblée. Mais avant de faire du cinéma, j’ai beaucoup pratiqué la comédie. Je suis entrée au Conservatoire en jouant une scène d'Annie Hall et j'avais vu que le jury avait accroché. Un professeur m'a ensuite beaucoup poussée dans cette voie. Mais j'ai longtemps cru que le cinéma n'allait pas me permettre de jouer, dans des comédies, des choses aussi dingues que les héroïnes de théâtre. Et puis c'est arrivé…
Qui sont les premiers qui ont permis ce déclic ?
Tout a commencé avec Quadrille, de Valérie Lemercier. Je savais que, grâce à sa propre folie, Valérie allait comprendre mes délires. Donc je me suis autorisée à tenter des choses. Et grâce à son regard bienveillant, j'ai pu faire évoluer mon rôle de journaliste un peu effacée vers une nana un peu barrée. Je peux aussi remercier Pascal Bonitzer d’avoir eu l'idée de mettre des mots très crus dans mon personnage, en apparence angélique de Rien sur Robert. Mais le vrai tournant pour moi a été Romaine par moins 30 d’Agnès Obadia
Pour quelle raison ?
Parce que c’est la première à m’avoir offert une comédie à porter sur les épaules. Et j’ai été portée par sa confiance sur ce personnage loufoque, où j'avais tout à créer. Cette Romaine devait être sincère mais complètement lunaire, godiche et larguée. Je sortais alors d'un break consacré à la chanson et revenir avec ce film et ce personnage m'a ouvert d'autres voies car j’ai conscience d'avoir surpris. La comédie est vraiment une question de confiance avec le metteur en scène qui vous dirige. Quand j'ai lu le scénario de Tip top, par exemple, je n'ai rien compris. J'ai appelé Isabelle Huppert, et elle non plus! Mais, à chaque fois que je voyais Serge Bozon, j'étais convaincue. Alors je lui ai fait confiance et, sur le tournage, tout s'est révélé limpide. A l’inverse, sur un tournage, quand on se lance dans une partition très culottée et qu'on lit, dans le regard de son réalisateur, qu'il se demande ce que vous pouvez bien faire, cela vous brise les ailes. Plus encore que dans les drames, le metteur en scène et l’équipe sont vraiment mes premiers spectateurs. J'ai besoin d'un public pour jouer la comédie. Et si je ne suis pas ou mal regardée, je prends moins de risque et, par ricochet, moins de plaisir.
Est-ce que choisir une comédie est plus compliquée pour vous que choisir un drame ?
Non car mon envie se dégage très vite de manière binaire : il me fait rire ou non. Il m'est d’ailleurs arrivé de croire en des rôles envers et contre tous. Ainsi, pour Les Femmes du 6e étage, on me déconseillait d'accepter celui de la femme de Fabrice Luchini, jugé trop effacée. Sans compter que Philippe Le Guay ne m'imaginait pas dans ce rôle. Mais j'avais une idée précise d'où je pouvais aller avec ce personnage de bourgeoise complètement coincée dans un monde qu'elle n'a pas le courage de quitter. Pour moi, la notion de rôle secondaire n'existe pas en comédie. Une seule question compte: y a-t-il de la matière ou non ?
Je crois savoir qu’Albert Dupontel était lui aussi quelque peu réticent à vous confier dans 9 mois ferme ce rôle de très stricte juge, une célibataire endurcie qui tombe enceinte d’un criminel poursuivi pour une atroce agression…
En fait, c’est sa productrice Catherine Bozorgan - pour qui je venais de tourner Rue Mandar - qui lui a parlé de moi. Jean-Pierre Jeunet, avec qui j'avais été membre d'un jury à Deauville, et Jean Dujardin ont aussi plaidé ma cause. Et tous lui ont juré que je pouvais être drôle (rires) ! Car, s’il m'imaginait très bien dans la partie dramatique du film, il doutait beaucoup plus sur l'aspect burlesque. Or, là encore, j’ai tout de suite vu jusqu'où je pouvais aller avec ce personnage de juge. Et, surtout, sans prétention, je savais que j'allais en être capable. Donc quand Albert m'a proposé de faire des essais, je n'ai pas eu peur. J’y ai vu un moyen de constater concrètement si je pouvais ou non faire partie de son univers si singulier. J'y suis allée à fond. Et ça l'a déstabilisé car je me situais loin du personnage qu'il avait écrit : une petite brune sévère et austère. Il me trouvait sans doute trop blonde, trop douce et trop nonchalante. Dans la vie, je ne suis pas conflictuelle. Je comprenais donc ses doutes quant à ma capacité à jouer les colères. Mais, à la fin des essais, il m'a dit : "Finalement, ce qui m'intéresse, c'est qu'on aimera ce personnage même dans ses colères parce que tu vas rendre les choses humaines. Ce n'est pas du tout ce que j'avais imaginé mais je vais réécrire dans ce sens".
Vous êtes arrivée tendue sur son plateau, du fait de ces réticences initiales ?
Habituellement, quand arrive le tournage, le metteur en scène et moi sommes déjà conquis mutuellement. Pas sur 9 mois ferme. Parce qu'Albert est à la fois exigeant et méfiant. Il met la barre très haut pour lui-même comme pour ceux qu'il a réunis. Or, pendant les répétitions, qui représentaient un premier test à ses yeux, je dois avouer que je n'y suis pas allée à fond. Avec ses autres comédiens, qu'il connaît par coeur, ils ont la même façon de travailler, comme une troupe en répétition de théâtre. Or, moi, ce n'est pas mon truc. Je suis plus dans l'instinct. Tant que je ne suis pas dans le costume du personnage, tant qu'il n'y a pas de caméra, j'ai l'impression de faire semblant. Je comprends très bien l'utilité des répétitions, surtout dans le cas du film d'Albert, très écrit et presque chorégraphié dans son action et, évidemment, je l'ai suivi dans son envie. Mais ce n'est jamais une partie de plaisir pour moi. En fait, nos méthodes de travail sont différentes. Y compris sur le plateau. Je n'aime trop pas regarder le combo après les prises, par exemple. Contrairement à Albert qui prenait, au départ, ma non-envie de voir pour de la flemme. Albert, je pense, ne s'aime pas beaucoup. Et quand il regarde ce moniteur, il a l'impression de pouvoir progresser et donc, éventuellement, s'aimer plus. Pour ma part, cela me donne trop de renseignements sur ce que je viens de faire donc m’empêche de m’abandonner. Sur 9 mois ferme, je me suis cependant plié à son envie et je l'ai quand même regardé. Mais, à ma façon, c'est-à-dire... sans le regarder vraiment (rires) ! En fait, je ne m'observais pas jouer mais me concentrais sur l'emplacement de la caméra. Je ne résonnais pas en termes de jeu mais de mouvement. Car je déteste le côté scolaire et technique. Il ne faut pas confondre maîtrise et technique.
L’abandon est encore plus important dans une comédie que dans un drame ?
Oui car dans la comédie, c’est pour moi une obligation. Il n'y a rien de plus impudique et culotté à jouer. Il faut donc être totalement désinhibé. Et ça ne peut naître que d’une forte confiance en soi. Or, cette confiance, je l'ai gagnée dans les drames, qui m'ont donné, en fait, l'autorisation d'aller ailleurs, en sachant que je pourrais toujours y revenir. Comme si une peur inconsciente m'avait poussée à me dire: "Installe bien ce truc-là pour oser revenir à ce que tu faisais avant, au Conservatoire". Comme si j'avais dû me construire une crédibilité pour qu'on ne me prenne pas pour une folle.
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