Mister Spade
AMC/Jean-Claude Lother

Les créateurs d’Oz et du Jeu de la dame imaginent l’improbable rencontre entre Le Faucon maltais et Un Village français.

C’est le retour des grandes figures du noir. Perry Mason sur HBO, Philip Marlowe ressuscité par Liam Neeson, bientôt un nouveau Ripley sur Netflix avec Andrew Scott… Et voici Sam Spade, le privé imaginé par Dashiell Hammett, immortalisé par Humphrey Bogart dans le mythique Faucon maltais, qui renaît sous les traits de Clive Owen. Pas à San Francisco – où on le voyait exercer dans le classique de John Huston millésimé 1941 – mais dans l’Aveyron, à Bozouls, au début des années 60. Une drôle d’idée, oui, sortie des imaginations conjointes de Scott Frank (Le Jeu de la Dame) et Tom Fontana (Oz), qui avaient manifestement envie de faire prendre l’air à leurs fantasmes néo-noir.

Pas de ruelles sombres ici, ni de chaussée trempée par la pluie : Sam Spade, en pré-retraite ensoleillée, essaye d’arrêter de fumer, troque régulièrement le whisky contre le vin rouge, et tente de couler des jours paisibles, quoique endeuillés (sa femme française est morte depuis peu) dans sa maison avec piscine planquée au milieu des vignobles. Une intrigue criminelle ne va bien sûr pas tarder à se mettre en branle, quand le massacre des religieuses du couvent local met la population de Bozouls en émoi. L'événement va réveiller dans la communauté de nombreuses blessures à peine cicatrisées, mêlant sales secrets datant de la Seconde Guerre mondiale et échos de la guerre d’Algérie grondant au loin. Spade entame une enquête qui va l’emmener à croiser un casting frenchy plutôt chic, typique d’une série Canal : Denis Ménochet, Louise Bourgoin, Chiara Mastroianni, Jonathan Zaccaï… La reconstitution sixties est bien dans les clous, cossue, ce qu’on attend d’une production française de qualité. Drôle de vision : le spectre de Bogart errant dans Un Village français.

Mister Spade
AMC/Canal+

Mister Spade ne s’apprécie sans doute pas de la même façon selon le côté de l’Atlantique depuis lequel on la regarde. Lors de sa diffusion aux Etats-Unis en début d’année, cette co-production AMC / Canal+ s’appelait d’ailleurs Monsieur Spade, à la française, pour insister sur sa dimension de carte postale envoyée depuis la France des Trente Glorieuses. Un cachet exotique qui séduit peut-être un public américain qu’on imagine assez âgé, mais qui se perd forcément in translation. On sait néanmoins gré à Frank et Fontana d’avoir véritablement potassé leur manuel d’histoire politique et culturelle : on ne voit pas tous les jours une série écrite par deux Américains s’intéresser aussi précisément aux répercussions de la guerre d’Algérie dans la province française des années soixante. Et les clins d'oeil pop sont assez pointues – qui aurait pu imaginer que Sam Spade mentionnerait un jour au détour d’une réplique le Discorama de Denise Glaser ?  

C’est pétrie de ses références ORTF que Mister Spade assume son charme suranné, son tempo alangui et ses rebondissements au compte-goutte. La nonchalance mélancolique de Clive Owen se charge heureusement de cimenter le tout : l’acteur sexagénaire porte beau (Spade tombe régulièrement la chemise, voire le reste quand il veut crawler nu dans sa piscine) et, plutôt que d’essayer une hasardeuse variation postmoderne sur le personnage, élabore assez finement autour du mélange de cool et de colère caractéristique de Bogart. L’Anglais rappelle au passage qu’il aura passé une bonne partie de sa filmo à explorer toutes les nuances du noir (néo dans Croupier, post dans Sin City…) pour finalement en revenir ici à l’essence, traquant le mythe fondateur du genre comme on poursuit une chimère. Ressusciter Bogart ? C’est un mirage, par définition inaccessible. Mais on peut prendre du plaisir à le regarder miroiter au soleil.

Mister Spade, créée par Scott Frank et Tom Fontana, réalisée par Scott Frank, avec Clive Owen, Cara Bossom, Denis Ménochet… Sur Canal +