Camille de Castelnau s'est inspirée de son expérience personnelle pour parler du cancer de l'enfant, cette terrible épreuve qui peut bouleverser une famille...
Après avoir collaboré au Bureau des Légendes (sur Canal +), puis à Drôle (sur Netflix), Camille de Castelnau a créé sa première série. Tout va bien sort aujourd'hui sur Disney Plus. Une poignante chronique familiale, qui parle de la maladie et de la souffrance ordinaire, sans pathos et en cherchant à coller à la réalité. Décryptage avec la scénariste.
Tout va bien s’inspire librement de votre propre histoire. Dans quelle mesure ?
Camille de Castelnau : Ce n'est pas tout à fait mon histoire, c'est celle de ma nièce, qui a effectivement vécu cette maladie. Mais c'est très librement inspiré. Autant, la partie médicale correspond, parce que je connaissais très bien cette leucémie-là du coup, et le parcours qui va avec. Je n'ai rien inventé. J'ai tout calqué. Pour tout le reste, les personnages, la famille, on est vraiment dans une fiction. Ma mère n'a jamais écrit de livre, ma sœur n'a pas trompé son mari et tout ça est très romancé. En revanche, c'est vrai que j'ai ressenti des émotions très fortes durant cette épreuve et j'écris pour retranscrire des émotions avant tout. Donc, Tout va bien, c'est un mélange de choses très personnelles et d'un vrai désir de fiction.
Vous aviez besoin de raconter ce par quoi vous étiez passée ?
Je ne me suis pas dit que j'écrivais ça comme une forme de thérapie. C'est juste que j'ai beaucoup écrit pour les autres. Pour Eric Rochant (sur Le Bureau des Légendes), pour Fanny Herrero (sur Drôle). C'est la première fois que je créais et que je décidais du sujet de la série, et à ce moment-là de ma vie, je ne pouvais pas écrire sur autre chose, je ne pouvais pas raconter autre chose. Un an ou deux avant, je n'aurais certainement pas pu le faire... mais au moment où je m'y suis mis, ça n'allait pas si mal que ça.
Comment est-ce que votre famille a réagi en apprenant ce projet de série ?
J'ai demandé la permission. Vraiment, j'ai fait valider la série à ma sœur et à ma nièce, et à la famille en général. En octobre 2020, au tout début, j'ai envoyé un texto pour leur demander en expliquant que j'allais m'éloigner de la réalité sous de nombreux aspects. Elles m'ont dit oui avec beaucoup d'enthousiasme et ça m'a totalement désinhibé.
Votre sœur et votre nièce ont-elles vu la série ? Qu'est-ce qu'elles en ont pensé ?
Ma sœur était consultante sur la série. Elle a participé à l'écriture des épisodes d'une certaine façon. Elle venait nous parler de comment elle a vécu ça de l'intérieur, pour dessiner le personnage de la mère. On n'a pas retranscrit in extenso, mais on a beaucoup discuté et c'est elle qui m'a rappelé, par exemple, que son téléphone avait planté le jour où sa fille était entrée en salle de greffe… ce qu’on a inclus dans la série.
Comment avez-vous pensé le personnage de la mère, jouée par Sara Giraudeau ?
Elle est dans une forme de déni presque contrôlé. La mère de l'enfant malade, c'est presque une figure de Piéta. On est dans un mythe tragique. En résumé, ce sont des mères courage, tout le temps représentées comme des saintes. Mais moi, je n'avais pas envie de montrer ça. Parce qu'on reste une femme complexe, malgré la maladie de son enfant. Et elle a besoin de cloisonnement. Elle a besoin, quelques heures par semaine, d'oublier tout ça. C'est de la survie psychique. Elle en a besoin pour être là pour sa fille. On est dans le truc qu'on nous dit dans les avions : en cas de dépressurisation de la cabine, mettez d'abord votre propre masque à oxygène, avant de vous occuper de votre enfant...
Vous avez cherché à raconter sa souffrance, mais pas que...
On filme son intériorité, et dans le même temps, on n'a pas tout à fait accès à elle. Il y a vraiment un truc de mystère très fort qu'apporte aussi Sara. On ne sait pas tout à fait ce qu'elle pense... On pourrait la juger mais on ne le fait pas. Et on la comprend finalement. Ce personnage de la mère et celui de la fille malade ont clairement été les plus délicats à écrire. Parce que ce sont des expériences dans lesquelles on se sent très seules. Être parent d'un enfant malade, ça vous atteint à un niveau tellement profond de votre être, que vous avez l'impression d'être seul, même quand vous avez un conjoint qui vit pourtant la même souffrance. Le personnage de Marion le dit comme ça d'ailleurs dans la série : "On est seuls, chacun dans notre petit enfer".
Tout va bien raconte la maladie en évitant de tomber dans le tragique ou le pathos. C'était la volonté dès le départ ?
Ce n'est pas un ton que j'ai cherché spécialement en fait. C'est un ton qui m'est assez naturel, dans la vie de tous les jours. J'ai tendance à avoir cet œil qui voit le pathétique, le trivial, le comique. C'est une manière de mettre de la distance, quand c'est trop angoissant. C'est un moyen de ne pas subir le pathos. Après, je peux aimer des fictions qui sont très dramatiques, dans le tragique total. Mais quand il y a trop de pathos, ça me sort du truc. Je vois trop les coutures, l'intention de l'auteur derrière. Ça en devient artificiel. Et d'ailleurs, Eric Rochant, sur Le Bureau des Légendes, nous disait tout le temps : vous feriez quoi dans la vraie vie ? Vous diriez quoi dans la vraie vie ? C'était son mantra. Tout va bien, c'est la vraie vie dans un sens, une forme de réalisme qui me parle.
Ce serait trop dur de parler de la maladie d'une fillette, en faisant du mélo ?
Oui... Ce serait comme rajouter du beurre sur une tartine de beurre ! C'est vraiment lourd, indigeste, c'est gras. Ce serait vulgaire en fait. Et en plus, je ne saurais pas le faire façon mélodrame.
Vous avez fait venir Virginie Efira pour sa première série. Elle incarne la tante, qui était votre rôle dans la vraie vie. C'était difficile de la convaincre ?
Elle a lu le script du pilote. Ca lui a parlé. Je crois que c'est l'écriture qui lui a donné envie d'y aller. Après, elle ne joue pas tout à fait mon rôle... Disons qu'elle occupe la fonction que j'avais dans cette histoire. Mais il y a beaucoup de différences. Maintenant, c’est vrai que c'est le personnage qui amène mon point de vue. L'avis de Claire, à la fin de la série, quand elle avance le hasard comme explication, c'est le mien...
Et puis votre ancien boss du Bureau des Légendes, Eric Rochant, a réalisé les deux premiers épisodes pour vous. Comment se sont passées vos retrouvailles ?
C'était un changement total de place. C'était marrant. On en a beaucoup rigolé et surtout on en a beaucoup parlé. A l'avant-première, il a dit que j'avais tué le père (rires) ! Sur Le Bureau, j'écrivais pour lui. Là, il bossait pour ma série (à la production et à la réalisation). Surtout, j'avais vraiment besoin de lui pour le casting. Ça m'angoissait de caster cette famille. Et Eric Rochant est un génie du casting. Il a découvert tout un tas de comédiens et comédiennes, notamment à travers Le Bureau des Légendes. Alors c'est vrai que c'était étrange pour nous deux comme situation, mais on a verbalisé tout ça et on est resté dans une chouette réciprocité.
Tout va bien, saison 1 en 8 épisodes, disponible depuis le 15 novembre 2023 sur Disney Plus.
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