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31 ans après, Full Metal Jacket reste une pépite du cinéma de guerre. 

Sorti en 1987, l’avant-dernier film du grand Stanley Kubrick est un brutal brûlot antimilitariste qui se dote pourtant d’une étrange dimension addictive et charmeuse. Voici les ingrédients de cet opus unique en son genre.

Les répliques cultes du sergent instructeur
"Vous êtes le niveau zéro de la vie sur Terre. Vous n'êtes même pas humains, bande d'enfoirés ! Vous n'êtes que du branlomane végétatif, des paquets de merdes d'amphibiens, de la chiasse ! Parce que je suis une peau de vache, vous me haïrez... mais plus vous me haïrez et mieux vous apprendrez. Je suis vache mais je suis réglo ! Aucun sectarisme racial ici. Je n'ai rien contre les négros, ritals, youpins ou métèques. Ici vous n'êtes tous que des vrais connards." : si la première partie de Full Metal Jacket, qui suit l’entraînement d’un groupe de jeunes recrues dans le camp militaire de Parris Island, marque autant les esprits, c’est en grande partie dû aux insultes décomplexées qu’hurle le personnage du sergent-instructeur Hartman en direction des futurs Marines qu’il a sous ses ordres. Interprété par Ronald Lee Ermey, un ancien sergent de l’armée américaine qui écrivit lui-même les dialogues injurieux de son personnage, Hartman est une figure unique du cinéma de guerre, aussi drôle que tragique. D'abord recruté comme conseiller technique sur le film, R. Lee Ermey improvisa durant les auditions des comédiens des injures tellement variées que Stanley Kubrick décida contre toute attente de lui offrir le rôle. Il vient de mourir, à l'âge de 74 ans.


R. Lee Ermey, le sergent instructeur de Full Metal Jacket, est mort

La réflexion sur la guerre
Capable de créer des images directes et viscérales (le maniement des armes à feu est ici ouvertement assimilé à une vision phallique et masturbatoire), Full Metal Jacket porte pourtant un regard très distancié sur la guerre du Vietnam. Sorti près de 10 ans après les films américains emblématiques consacrés au conflit (Voyage au bout de l’enfer en 1978 ou Apocalypse Now en 1979), cette version 80’s refuse le réalisme pur et préfère poursuivre la critique des institutions militaires que Kubrick a initiée avec Les Sentiers de la Gloire (1957), Dr Folamour (1964) et Barry Lyndon (1975) en donnant à sa deuxième partie une atmosphère de théâtralité et de minimalisme sentimental. Ayant reconstitué le terrain de guerre vietnamien en Angleterre en faisant venir des palmiers d’Espagne et des arbres en plastique de Hong-Kong, Stanley Kubrick joue volontairement sur les effets factices, montrant surtout à travers les yeux de son personnage principal ("Guignol" en VF) comment s’opère progressivement une stratégie d’endoctrinement des soldats et d’annihilation de leur libre-arbitre. "Faire un film de guerre pour dire seulement "Il ne devrait plus y avoir de guerre" est insuffisant. Même les généraux sont d’accord. Il y a autre chose", expliquait ainsi Kubrick à la sortie. En refusant totalement l’héroïsation des soldats présentés et la glorification de leurs actes, le film dresse en effet une réflexion plus universelle et générale sur les mécanismes qui poussent un groupe d’hommes à s’éloigner inexorablement de leur propre humanité. 

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La bande originale survoltée
Comme souvent chez Stanley Kubrick, la musique joue un grand rôle dans le pouvoir exercé par les images. L’excellente bande originale de Full Metal Jacket a ainsi comme particularité de mêler des tubes pétillants des années 1960 ("Chapel of Love" de The Dixie Cups ou "These boots are made for walkin?" de Nancy Sinatra) à des mélodies originales plus sombres et asphyxiantes composées, sous le pseudonyme d’Abigail Mead, par Vivian Kubrick, la fille de Stanley. L’entraînant "Hello Vietnam" de Johnny Wright qui ouvre le film sur des images d’engagés volontaires se faisant raser le crâne tranche par exemple grandement avec l’inquiétant et métallique titre "Leonard" qui accompagne la fameuse séquence des toilettes qui marque le basculement dans la folie meurtrière du personnage de Grosse Baleine. Une alliance des contraires qui donne tout son intérêt au film et habite également la conscience du personnage principal, Guignol, qui a inscrit "Born to Kill" sur son casque mais porte un badge "Peace and Love", comme s’il était victime de schizophrénie et prisonnier de l’impossible équilibre à trouver entre innocence et violence, entre paix et guerre, entre amour et haine.


Le casting
Si l’éprouvante formation militaire reçue par les Marines vise à dépersonnaliser les soldats et fait disparaître leurs vrais noms derrière des sobriquets, les jeunes acteurs choisis par Stanley Kubrick ont parfaitement réussi à se fondre dans ce projet où se dégage davantage un esprit de groupe qu’une recherche de vedettes tirant la couverture à eux. Derrière le charisme du sergent-instructeur incarné par R. Lee Ermey (qui disparaît brutalement en milieu de film) se révèle ainsi Matthew Modine dans le rôle de "Guignol" ("Joker" en VO), soldat aux allures d’intellectuel qui se retrouve journaliste lors de son arrivée au Viêt Nam avant de partir combattre. Tout en sobriété, sa performance complète celle plus outrancière de Vincent D’Onofrio qui, dans le rôle du souffre-douleur Grosse Baleine, joue la victime éplorée avant de s’endurcir et d’afficher une véritable grimace de psychopathe qui fait sensation lors de la séquence centrale où, fusil à la main, sourire vengeur et yeux globuleux, il devient incarnation de la folie humaine. 

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La construction originale
Ce n’est pas un scoop, la filmographie de Stanley Kubrick forme un ensemble d’une cohérence admirable où tous les films paraissent communiquer entre eux, ce qui rend leur vision inépuisable. Si la technique du conditionnement des soldats relatée au début de Full Metal Jacket renvoie aux méthodes controversées de redressement des délinquants dépeintes dans Orange Mécanique, le film obéit également à la fascinante règle de la symétrie établie par le cinéaste. Son intrigue séparée en deux parties de durée égale rappelle par exemple les scénarios de Barry Lyndon ou Eyes Wide Shut, eux aussi marqués par une construction où la seconde partie vient éclairer et rejouer sous un autre angle le chemin narratif tracé par la première partie. La structure de Full Metal Jacket fait ainsi son effet, démarrant par une chanson de rassemblement puis s’achevant par un chant funèbre et désespéré, où le soldat Joker prouve qu’il s’est définitivement habitué à la guerre. En ce sens, la séquence du sniper, qui achève dans le film toute idée d’innocence, s’impose comme une des plus fortes de l’oeuvre du cinéaste. 

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