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Avec A scanner darkly, d'après Substance Mort, Richard Linklater réussit une adaptation de Philip K Dick cohérente... et bavarde. Car si la plongée schizophrénique et critique est habile, le cinéaste se perd dans de longs tunnels qui empêchent son film de s'épanouir visuellement.
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- vos impressions ? discutez du film A Scanner Darkly sur le forum cinémaC'était à la fin de The Walking Life, film sorti en 2001 et que nous n'avons pu voir en France que sur le câble. Richard Linklater employait pour la première fois la rotoscopie, ce système où des prises de vue réelles sont modifiées par ordinateur en ajoutant des couches de peinture sur l'image. Le procédé n'avait rien d'inédit, une adaptation du Seigneur des anneaux l'ayant déjà utilisé longtemps auparavant. Durant la dernière scène de l'errance existentielle du héros, un personnage se lançait dans une longue tirade autour de notre fausse perception de la réalité. Les mots n'étaient pas ceux de Linklater, mais de Philip K Dick, dont le réalisateur avait repris presque mot pour mot l'une des conférences (que l'on peut lire dans Si ce monde vous déplaît... , Philip K. Dick, Editions de L'éclat, Paris, 1998)L'amorce faite, le procédé lancé, ne manquait plus que l'ouvrage à adapter pour un long métrage. Ce sera Substance Mort, écrit par K. Dick au moment où le monde entier avait pris un Acid et que lui-même cherchait à en sortir. La drogue est donc au centre de ce roman et de son adaptation et, avec elle, ses conséquences, son processus de marginalisation et ses relations sociales distordues, l'altération subjective de la réalité, les hallucinations, la perte de confiance en l'autre, la séparation, la trahison et surtout la paranoïa. Inspiré par l'écrivain des réalités multiples, des identités rebelles et de la non linéarité du temps, et de l'oeuvre d'un homme obsédé par le contrôle et la surveillance où l'Allemagne nazie symbolise le mal absolu et le pouvoir, Linklater a marié pour le meilleur, un louable effort d'adaptation et, pour le pire, un cinéma qui lui est propre.Piégé dans un casse-tête mentalLe résultat donne à voir Keanu Reeves en flic infiltré chargé d'éliminer un trafic de Substance D (Death/Mort) à Los Angeles. Espionnant et trahissant ses amis, il devient accro, commence à halluciner, jusqu'au moment où, obligé de s'espionner lui-même (ses supérieurs ne connaissent pas son identité), il sombre dans la paranoïa par l'absurde. Avec son allure si singulière (tout en effacement subtil et élégance féline discrète), Reeves est piégé dans un casse tête mental où l'image, par son altération et ses couches de couleurs aux perspectives troublées, représente une réalité mouvante, hallucinée. Toute la structure narrative et l'image sont contaminées par le doute, l'indécision et l'angoisse vécus par le personnage, avec ses déformations visuelles, ses excès d'interprétations, sa folie ambivalente. L'image encore, la sienne, que Reeves observe depuis son moniteur de contrôle. En se regardant comme pour attester de sa propre existence, elle dévoile un personnage en quête de réel. Perdu entre sa conscience altérée et un monde irréel, il cherche à rester humain, à garder un lien avec sa véritable identité qui s'effrite jusqu'à disparaître.La plongée schizophrénique et critique est pourtant inégale. On retrouve les principaux axes théoriques de K.Dick, jusqu'à la suspicion et l'obsession du complot d'Etat. Le film en assure sa visibilité, parfois avec succès. Mais c'est en approfondissant une nature plus humaine et matérielle propre au romancier (une histoire d'amitié corrompue par un système et la drogue, une histoire d'amour impossible) que Linklater à la fois réussit et échoue à mener complètement son projet.
D'un côté, il parvient à filmer simplement des relations où les excès de bavardage produisent un humour ironique, un comique absurde propre à la drogue, une verbalisation poétique où l'oeuvre dévoile sa sensibilité.
De l'autre, ces mêmes tunnels bavards empêchent le déploiement d'une plus grande amplitude, jusqu'à parfois contredire le dispositif qui peine à se renouveler. C'est là que son cinéma reprend ses mauvaises habitudes, à parler pour parler, comme si dans ces logorrhées, Linklater comblait ses faiblesses de metteur en scène, avec la parole en place de l'image, en cherchant plus à convaincre plutôt qu'à montrer.
Si A Scanner Darkly reste donc une oeuvre cohérente et inédite où l'univers de Philip K. Dick peut enfin s'épanouir visuellement, les tics d'un réalisateur trop sûr de lui plombent un peu la belle ambiance qu'il distille.A Scanner Darkly
Un film de Richard Linklater
Avec Keanu Reeves, Winona Ryder, Robert Downey Jr, etc.
Sortie en France : 13 Septembre 2006
[illustrations © Warner Bros. France]
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