Première
par Gérard Delorme
A la tête d'une compagnie de développement de jeux vidéo, Michelle est une femme autodidacte, autoritaire et indépendante qui ne laisse rien ni personne lui dicter sa conduite. Jusqu'au jour où elle est violée chez elle par un homme masqué. Elle n'en dit rien à personne, continue comme si de rien n'était, mais le coupable ne perd rien pour attendre.
Elle marque un étonnant retour en forme pour Paul Verhoeven qui, à part un film tourné pour la télé hollandaise, n'avait réussi à financer aucun de ses projets depuis Black book en 2006. On n'en attendait pas moins de sa part, mais c'est quand même une bonne nouvelle, s'agissant d'un de ces films tardifs que le producteur Saïd Ben Saïd semble s'être fait un spécialité de promouvoir, avec des fortunes diverses (Carnage, Passion, Maps to the stars). A 77 ans passés, Verhoeven est non seulement fidèle à lui-même, mais il a gardé une énergie assez remarquable, même si la nature très française de l'intrigue (un drame familial en banlieue) ne demande pas autant de logistique que ses extravagances SF.
Il est étonnant de voir avec quelle aisance le hollandais violent s'est approprié le roman de Djian, faisant de la patronne jouée par Isabelle Huppert la descendante directe des héroïnes fortes et proactives de La chair et le sang, Basic instinct, Showgirls, ou encore Black Book. Toutes partagent une même volonté d'utiliser tous les moyens, y compris le sexe, pour contrôler leur destinée dans des contextes de guerre, d'adversité ou de compétition extrêmes.
Attraction/répulsion
Prenant bien garde à ne pas donner d'explications, Verhoeven dévoile progressivement la personnalité de cette guerrière qui n'a rien d'une victime. Il s'en dégage un portrait fascinant qui pose d'abord la question de l'hérédité. Dans quelle mesure l'héritage de nos parents affecte-t-il nos actions ? Peut-on s'en affranchir ? La réponse est délibérément ambigüe, à l'image du film entier. Non, on ne peut pas échapper à ses gènes, mais une personnalité comme Michelle fera tout pour ne pas subir la fatalité, à la différence de ses proches. Sa mère fuit la réalité dans la poursuite obsessionnelle de la vanité. Son fils est un crétin certifié qui se laisse manipuler par une épouse cupide.
La relation d'amour/haine que Michelle entretient avec sa famille n'est qu'une variante de l'approche qu'elle utilise plus généralement pour contrôler son entourage, et qui consiste à trouver un équilibre dans l'opposition des contraires: attraction /répulsion avec ses amants, alternance de récompenses et de punitions qu'elle distribue à ses employés, sadisme et masochisme dans le jeu qu'elle joue avec son voisin, laissant planer le doute sur leurs rôles respectifs : lequel est la proie, lequel est le prédateur ? Isabelle Huppert incarne à la perfection ce rôle qui synthétise quelques-uns de ses personnages les plus mémorables.
Le denier mot appartient à la voisine jouée par Virginie Efira, une folle de la messe que sa foi aveugle aide à avaler les contradictions les plus absurdes, et rappelle l'intérêt persistant de Verhoeven pour la religion. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'un de ses projets encore inaboutis - l'adaptation de son livre sur la vie du Christ, dont il avait développé le scénario avec Roger Avary - debutait de la même façon qu'Elle : par un viol. Le résultat allait donner naissance à Jésus. Mais c'est une autre histoire.
Elle est présenté en compétition à Cannes et sort en salles le 25 mai prochain.