- Fluctuat
Après une longue attente Hellboy de Guillermo Del Toro arrive en France, et pas n'importe comment. En version directors' cut et avec bonus *, s'il vous plaît ! Mais au fait, director's cut ou pas, c'est comment Hellboy ?
Hellboy fait partie de ce genre de films qui souffrent d'avoir été trop aimés, comme le Gangs of New York de Martin Scorsese. On sait Guillermo Del Toro fan transi du comics de Mike Mignola, on sait qu'il signa le magistral Blade 2, monument du film d'action contemporain, pour un peu mieux convaincre les producteurs de lui en laisser entreprendre l'adaptation. Et lorsqu'on regarde Hellboy, cette passion est à l'écran, partout et surtout dans ce personnage qu'il couve des yeux comme Tarantino couvait Uma Thurman dans Kill Bill. A chacun ses fantasmes.Hellboy est donc un demi-démon à l'esprit noble qui lutte contre les forces du mal. Il a été invoqué au cours d'une cérémonie de magie noire pratiquée par les nazis- qu'on ne savait pas branchés paranormal - une nuit de 1944. Sauvé par le professeur Broom (John Hurt) lors de l'opération militaire qui fit échoué le plan des nazis (accompagnés de Raspoutine - le méchant -), qui espéraient faire advenir l'apocalypse, Hellboy travaille pour le Bureau de Recherche et de Défense sur le Paranormal, société secrète financée par le gouvernement américain. Rapidement confronté à ces vieux ennemis, quelques nazis immortels et Raspoutine, Hellboy accompagné d'autres monstres et d'un « agent de transmission » humain partent en mission.Pourquoi alors Hellboy risque-t-il d'être une déception ? Peut-être parce que malgré toute la générosité de son auteur, le film est construit autour d'une architecture scénaristique très faible et d'une désarmante simplicité. On n'attendait aucune prouesse de cet aspect, à dire vrai même peu en importait la teneur, mais là, le scénario de Del Toro devient gênant. Les scènes s'enchaînent sans conséquences prenantes, sans suspens ni attente. Le récit importe peu et les personnages en font les frais. Si pourtant on perçoit clairement les intentions : les sentiments d'Hellboy pour Liz (Selma Blair), ceux de John, les liens entre le professeur et Hellboy, la confrontation à venir avec Raspoutine, tout ceci paraît sans cesse passer au second plan. En effet, si l'articulation des évènements entraîne bien des réactions dans l'histoire, elles se font sentir comme relativement accessoires. De plus, certains détails un peu plus gênants, tel le personnage de Abe Sapien complètement oublié au deux-tiers du film, paraissent un peu durs à pardonner.Accessoire encore le personnage de John (Rupert Evans), l'humain très terne du groupe, qui n'est là que pour mieux mettre en valeur Hellboy - et vaguement lui rappeler sa condition, son petit drame existentiel pas toujours bien développé -, la star du film de Del Toro, son alter ego. Del Toro a une fascination sans borne pour son personnage. Il l'observe, le filme jusqu'à s'en aveugler. Tout le film semble n'être qu'un prétexte à le voir exister - et il l'est -, à voir vivre sa créature dans un univers qu'il s'est réapproprié. D'où parfois ce sentiment embarrassant que ce personnage n'existe pour nous qu'à moitié. Del Toro prenant tellement peu de temps à justifier, nous faire connaître mieux son personnage, à le développer (puisque lui le voit justement comme il l'aime, totalement), qu'il peine à nous le faire aimer. Le problème n'est pourtant pas Ron Perlman, plutôt convaincant. La gêne vient plutôt de devoir aimer ce personnage sans avoir l'impression de le rencontrer (pourtant on fait connaissance avec son quotidien, ses manies, ses sentiments pour Liz, mais une chose ne passe pas, tant Del Toro le voit déjà installé). Pour le spectateur familier d'Hellboy le rapport est certainement différent, mais pour les autres, le rendez-vous peut paraître un peu manqué. L'amour pour sa créature ne suffit pas, il faut aussi savoir partager cet amour, et ici, on voudrait bien l'aimer, mais Del Toro paraît un peu trop possessif, comme s'il ne voulait pas nous prêter son jouet sans condition. Aussi, s'il a voulu nous faire adopter le point de vue de ses monstres durant son récit, et il y arrive, on se sent un peu déçu car qu'est-ce qui pouvait bien de toute manière nous amener ici si ce n'est justement ces monstres ? Nulle subtilité en cela d'évincer l'humain, aucune subversion en regard des majors et de leurs lois, rien moins que ce qui nous a amenés dans la salle, et dont on ressort désenchanté.Autre détail, autre faiblesse encore, les dialogues. Souvent mal écrits, lourds, jouant en permanence sur de l'humour au second degré, comme de récurrentes « punchlines » promptes à créer ce décalage ultra classique pendant l'action dont nous sommes familiariser avec Bruce Willis depuis Die Hard, les dialogues d'Hellboy manque d'originalité. L'humour de série B vieilli a du mal à s'actualiser. Ron Perlman n'a pas le brio d'un Will Smith, modèle du genre après Bruce Willis. Les répliques trop premier degré font passer la simplicité du personnage pour de l'humour éculé, et surtout pas drôle à moins de n'avoir jamais vu de film d'action durant ces vingt dernières années.Pourtant il faudrait rendre justice à Hellboy et dire le brio et la virtuosité de certaines scènes d'actions, atteignant un niveau d'efficacité et de spectaculaire rare. Le film fait preuve d'une rigueur et d'une discrétion dans l'exploit technique qui ne cache qu'un savoir faire modeste, honnête, et pourtant souvent très audacieux et d'une précision inouïe. Nul doute que le travail qu'à fait l'équipe de Del Toro est remarquable. Mais étrangement Del Toro n'atteint que rarement la puissance de Blade 2, qui avec sa furie dévastatrice mêlait le poids et la plume entre quelques coups d'épée magnifiques. Ici, l'épée c'est le nazi Kroenen qui la manie, et toutes ces gesticulations font parfois un peu pitié. Il faudrait enfin louer malgré tout un certain charme parcourant le film, perçu par moments et dans les possibilités à venir d'Hellboy, qui sans doute pour la suite prévue pour 2006 pourrait s'avérer plus fructueuse.Hellboy
Réal. Guillermo Del Toro
Etats-Unis, 2004, 122 mn
Avec Ron Perlman, John Hurt, Selma Blair, Rupert Evans, Karel Roden, Jeffrey TamborN.B : * En effet c'est en exclusivité mondiale que nous allons voir en salle la version director's cut, plus longue de 15 minutes que celle distribuée ailleurs.
Normalement cette version director's cut était initialement prévu pour paraître dans l'édition collector triple DVD à paraître aux U.S.A en octobre/novembre 2004. Mais la France a obtenu le droit exclusif de la distribuer en salle. Nous tenons à préciser que ce texte s'appuie sur la version courte exploitée en salle partout ailleurs dans le monde. En conséquence, nous demandons à notre lecteur de nous excuser si ce texte ne reflète pas cette version longue distribuée chez nous, invisible pour l'instant, que nous découvrirons à partir d'aujourd'hui sur les écrans.[illustrations : © Gaumont Columbia Tristar Films]
- Consulter les salles et les séances du film sur Allociné.fr
- Le site officiel du film
- lire la chronique de (Blade Trinity) de Guillermo Del Toro (2004)