Première
par Frédéric Foubert
Faire bouger les lignes, réaliser des greffes, c’est depuis toujours le principe directeur de la filmographie de Michel Gondry. Il a d’abord été un musicien qui tourne des clips. Puis
un clippeur qui fait des films. Puis un cinéaste français exilé en Amérique. Puis un auteur de fictions qui signe des documentaires. Etc., etc. Dans cette optique, le défi d’adapter L’Écume des jours faisait figure à la fois de suite logique et de retour au bercail. Comme si, en dialoguant avec Boris Vian (autre inventeur de formes surdoué trop souvent réduit à une image de bricoleur sympa), en s’emparant d’un monument du patrimoine littéraire, en travaillant avec des stars (Duris, Tautou, Elmaleh, Sy), Gondry finissait enfin par accepter sa nature de fils prodige du cinéma français. La Gondry’s touch est-elle soluble dans le mainstream ? La modernité de 2013 a-t-elle quelque chose à dire à celle de 1947 ? Les questions soulevées par le projet débouchent sur un objet composite passionnant. Il n’y a qu’à voir la façon dont est filmé Paris, à la fois ancré dans une imagerie 50s surannée et irrigué par une noirceur très contemporaine, pour comprendre le délicat exercice de réappropriation qui se joue ici. Sans rien retrancher à Vian (le « pianocktail » et Jean-Sol Partre sont bien là), Gondry impose son imaginaire au matériau d’origine. Pas au forceps, pas pour faire son intéressant ni pour tordre la commande, mais bien pour redonner une pertinence poétique et une urgence émotionnelle à une histoire qui, à force d’avoir été adorée par tout le monde, prenait le risque de ne plus toucher personne. L’opération était délicate. La greffe est très réussie.