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Après le coup de boule Bullhead, le petit génie flamand Michaël R. Roskam était parti frayer à Brooklyn, sur les terres de Dennis Lehane (Quand vient la nuit). Pendant ce temps, son acteur fétiche Matthias Schoenaerts, la révélation de Bullhead, était mis sur orbite par Jacques Audiard, grâce au rôle du boxeur sensible de De Rouille et d’os. Et aujourd’hui, dans un échange de bons procédés, Roskam, de retour au pays, retrouve le « fidèle » Schoenaerts et embauche les deux scénaristes attitrés d’Audiard (Thomas Bidegain et Noé “Dheepan” Debré) pour emballer le script de son nouveau film. Comme si les deux hommes, le belge turbulent et le dandy palmé d’or, les deux esthètes du néo-noir, avaient décidé d’entamer un dialogue à distance.
On remarquera d’ailleurs que, de la même façon que la Côte d’Azur de De rouille et d’os avait des airs de plat pays (de Schoenaerts à Bouli Lanners, on n’avait jamais croisé autant de Belges au générique d’un film se déroulant à Antibes), la Belgique du Fidèle a un parfum de French Riviera. C’est l’aspect le plus étonnant du film : cette atmosphère surannée de polar seventies arrosé au champagne. Pas “gritty” comme dans la série The Deuce, non, plutôt chic et désuet comme un Lelouch vintage. Le look du film, à la fois sophistiqué et décati, est son argument le plus séduisant. Ça, et le sex-appeal incendiaire du couple Matthias Schoenaerts-Adèle Exarchopoulos. Lui en braqueur joli cœur, elle en pilote automobile qui refuse d’ouvrir les yeux sur les activités criminelles de son mec.
Mais si l’ambiance réveille des effluves lelouchiennes oubliées, le script, lui, est malheureusement audiardien jusqu’à la caricature. C’est comme si, sans le taulier Audiard aux commandes, Bidegain et Debré révélaient tous leurs tics de scénaristes, leurs trucs de magiciens, les astuces convoquées pour doper l’intrigue : le découpage en chapitres, les répliques très écrites qui visent un peu trop le culte pour être honnêtes (“pas de fleurs”, équivalent ici du “t’es opé ?” de De rouille et d’os), les paraboles un peu lourdes (Schoenaerts, le chien fou sans attache, le “fidèle” du titre, dont le destin basculera à cause de la morsure d’un clébard), la manière très programmatique dont le film noir se fait dévorer par la love story… Beaucoup de choses ici paraissent artificielles, et on est surtout surpris par l’absence de tension, de suspense (les deux héros s’aimant d’amour fou, on sait d’emblée que, malgré les obstacles, rien ne les séparera jamais) et l’étonnante manie qu’a Roskam de ne jamais mener les scènes d’action jusqu’à leur terme. Après de brillantes et spectaculaires mises en place, les deux grosses séquences de braquage du film tombent à plat, comme si le réalisateur avait la tête ailleurs. Peut-être dans le virage mélo hardcore de la dernière partie ? Mais celui-ci est trop soudain pour convaincre. Dans les dernières minutes du film, Roskam tente de retomber sur ses pattes et de faire coaguler l’ensemble (le polar, le drame, l’énergie, la vitesse, les larmes) en citant littéralement le court-métrage de Lelouch, C’était un rendez-vous, ce fameux plan-séquence pied au plancher, où le réalisateur d’un Homme et une Femme grillait tous les feux rouges de Paris au petit matin, et donnait à un rencard amoureux des airs de course vers la mort. Roskam recherche ici la même ivresse. Mais Lelouch, lui, faisait ça sans trucage, au risque de sa vie. Forcément, c’était plus excitant.
Le Fidèle