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Le Churchill-movie, plus qu’une passion anglaise : une vraie petite mode. Quelques mois à peine après l’oubliable biopic avec Brian Cox, au tour de Gary Oldman d’enfiler la panoplie du grand homme. Pas forcément une évidence sur le papier, au regard de la non-ressemblance assez frappante entre cet expert en rôles de bad guys (de Coppola à Besson en passant par Tony Scott ou Alan Clarke), plutôt effilé, et le massif politicien aux bajoues de bulldog. Mais rien de grave, ce ne sont pas un goitre en silicone, des kilos de postiches ou même 3h30 de maquillage quotidien qui effraieront l’acteur-caméléon de 59 ans, rompu à ce genre de défi. Sa performance – « à Oscar » forcément – vaut le déplacement, sans se vautrer dans le numéro de cirque pour autant. Drôle et imposant, Oldman se fond littéralement dans ce personnage irascible aux manières rustiques, plus fin qu’il n’en a l’air : seul son regard perçant nous rappelle que c’est bien lui derrière le masque. Par le biais d’un travail d’orfèvre sur la modulation de sa voix également, il insuffle l’humanité nécessaire à son encombrante silhouette d’emprunt, usée jusqu’à la corde par l’imagerie populaire - sempiternels cigare, lunettes rondes et nœud papillon.
Dynamo
L’acteur campe un Churchill dos au mur. Nommé Premier ministre en catastrophe le 10 mai 1940, alors que rien ne semble pouvoir enrayer l’avancée nazie en Europe et que 200 000 soldats britanniques sont piégés sur la plage de Dunkerque – la fameuse « opération Dynamo », récemment reconstituée par Christopher Nolan - l’improbable successeur de Chamberlain est en proie au doute : faut-il sacrifier des milliers d’hommes sur l’autel de la liberté, dans un combat qui apparait pour beaucoup perdu d'avance, ou bien doit-on plutôt, comme l'enjoignent des membres de son propre camp, accepter de signer un accord de paix avec l’épouvantail Hitler grâce à la médiation de l'Italie fasciste de Mussolini ? Le dilemme est cornélien, le temps presse : l’écrin parfait pour déployer une dramaturgie aussi bien politique que psychologique autour des combats intérieurs du tribun.Biopic-cerveau
Pendant quelques jours en effet, nous dit ce film aux contre-jours crépusculaires, la guerre a moins eu lieu contre les nazis que dans la tête du nouveau Premier Ministre. Confiné dans le temps (quatre semaines seulement, en mai 1940) et dans l'espace (les sous-sols de l'état major britannique essentiellement, mais aussi la Chambre des communes…et celle de Churchill lui-même), très bavard, le biopic-cerveau de Joe Wright n’a pas peur de la théâtralité. Et ça tombe bien, car le réalisateur de Anna Karénine est à l'aise dans ce registre. Avec un sens du rythme baroque, il parvient à faire vivre cette histoire déjà connue et ce texte abondant de manière fluide et véloce. Malgré l’exiguïté des lieux filmés, les mouvements de caméra sont permanents, les transitions inventives s’enchainent par le biais de changements d'échelle parfois surréalistes, mais jamais gratuits. Ainsi, un front guerrier criblé d’obus en plan aérien se métamorphose-t-il en un immense corps de soldat agonisant, tel un paysage mental projeté par Churchill lui-même. Qu’elles soient d’ordre politique ou privé (sa secrétaire et surtout son épouse Clémentine ont aussi du bagout), les punchlines de Churchill fusent comme des balles, propulsées par des travellings à la The West Wing. Si le film partage un goût de l’atmosphère asphyxiante avec le récent Dunkerque, ces Heures sombres s’offrent plutôt en négatif volubile au mutisme de Nolan : l’envers politique et intime de l’opéra pyrotechnique, avec, à la place des avions et des scènes d'action, de simples mots donc, qui, utilisés par l'orateur Churchill, se muent en un prodigieux arsenal.