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Elle, se cache souvent le visage avec ses deux mains calleuses et se met à rire compulsivement. Lui, se tient de profil, le port volontiers altier malgré le poids des années, et marmonne. Deux façons de tromper la gêne d’un dévoilement. Aïcha et Mabrouk, plus de soixante de mariage et une vie passée en Auvergne loin des montagnes algériennes de leur enfance, font partie d’une génération où l’effacement a toujours été préférable à l’épanchement. L’intime est un monde à priori infranchissable. Lina, leur petite fille, surprise de voir le couple fatigué l’un de l’autre quitter soudain leur nid commun pour faire appartement à part, profite de ce moment pour essayer de briser enfin les silences et saisir quelque chose d’eux. Car, à travers eux, se dessine une trajectoire forcément singulière qui s’inscrit néanmoins dans un champ plus vaste, celui de l’immigration française née sur les cendres de la Guerre d’Algérie. Lina, avec sa caméra ne lâche pas ses grands-parents, pose des questions directes, revient souvent à la charge, interroge des photos jaunies pour voir si les spectres du passé peuvent animer le présent... Un film de famille tourné à Thiers par Zinedine, le père comédien de Lina et acteur fétiche de Klapisch, montre une fête de mariage au tout début des années 90. En off, Lina lâche : « J’ai toujours cru que c’étaient en Algérie ces images, qu’on y était allé ! », traduisant la mélancolie d’un manque que son film pourrait éventuellement combler. Le plus beau ici est de voir comment la parole parvient enfin à se libérer, entre les lignes, entre les images.