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Devenu l'un des auteurs phares de l'animation japonaise, Satoshi Kon revient enfin en salles avec Paprika. Un thriller théorique et critique où le rêve contamine le réel pour mieux montrer la valeur du cinéma. Un film testament, d'une beauté unique, mais où l'auteur trouve aussi ses limites.
- Vos impressions ? Discutez du film Paprika sur le forum cinéma de Flu.On ne saurait faire trop d'éloges du cinéma de Satoshi Kon. Découvert chez nous en 1999 avec son premier film, Perfect Blue, il a fallu pourtant attendre sept ans et la sortie de Paprika pour retrouver une de ses oeuvres en salles. Entre-temps Kon n'a pas chômé. Il a même réalisé ses chefs d'oeuvre (tous disponibles en DVD). Millenium Actress d'abord (sans doute son plus beau film) est une déclaration d'amour au cinéma japonais qui, à travers le portrait d'une actrice, entrecroise souvenirs, réalité et fantasmes. Le tout porté par un lyrisme implacable et une mise en scène d'une inventivité sidérante, rappelant parfois un "Alain Resnais" rec="0" en moins scientifique. Ensuite Tokyo Godfathers, une oeuvre en apparence plus classique et réaliste qui continue de rendre hommage au cinéma en convoquant "Frank Capra" rec="0" et surtout Le Fils du désert de [people rec="0"]John Ford[/people]. Enfin, un an plus tard Kon passe par la télévision en réalisant Paranoia Agent. À travers douze épisodes protéiformes, la série navigue entre le crypto-thriller, la comédie, l'action, la parodie, le fantastique, l'étude de moeurs, la psychose sociale ou encore le conte philosophique, soutenue par une étude théorique sur l'imbrication du réel et la fiction.Jusqu'ici, chaque oeuvre de Satoshi Kon fut l'occasion d'évaluer son cheminement thématique ou d'explorer son univers qui n'a cessé de s'emparer comme de critiquer notre rapport moderne aux images. Chez Kon, travaille ainsi une logique de la contamination, du débordement, du chevauchement, de la confusion entre la réalité et la fiction. Avec Paprika, l'auteur veut clore un chapitre. Il souhaite signer un film testament qui mettrait fin à son étude du cinéma et de la prolifération des images. Seulement qui dit film de transition dit nécessairement témoignage, éclairage, visibilité ou pire, lisibilité. À la manière du dernier Ghost in the Shell de [people rec="0"]Mamoru Oshii[/people], quoiqu'en moins crypté et plus poétique, Paprika se révèle donc une oeuvre explicative, le film où le projet discursif ne tient plus seulement par la mise en scène. Comme le fût en son temps eXistenZ de [people rec="0"]David Cronenberg[/people] (avec qui il noue d'étranges similitudes), Paprika s'impose un peu comme le film synthèse de son auteur, le film qui dévoile tout, déballant ses tours et secrets comme un magicien qui croit encore faire illusion. Avec Paprika, Kon s'est un peu trahi.Cette fois, c'est à travers l'idée du rêve que Kon cherche à interroger et formaliser ce rapport parfois dangereux que nous pourrions entretenir avec la prolifération des images, ici métaphorisé par l'hyper croissance d'Internet. Comme pour Perfect Blue, Paprika se sert de la structure prétexte du thriller pour faire évoluer son récit et son enquête autour du vol d'une machine permettant de visiter et visionner nos rêves - machine qui, volée, entraîne une propagation des rêves dans le réel. En combinant plusieurs niveaux de lisibilité où s'entrecroisent et coexistent de multiples espaces, mentaux ou réels (dans lesquels les personnages naviguent), le film brille parfois par l'épure de sa complexité formelle. Entre la linéarité de l'intrigue plus classique et la contamination onirique plus incertaine, Kon crée une superposition constante entre diverses dimensions, sans jamais nous perdre, tout en nous égarant. Seulement problème : au fil du récit, et plutôt que de laisser filer le plaisir simple de ses visions se suffisant à elles-mêmes, Kon croit utile d'expliquer son film toutes les cinq minutes.C'est la principale faiblesse de Paprika. Cette volonté persistante du sens, cette tendance à la thèse qui épuise ou supplante les personnages, ce désir de manifestation d'intelligence qui passe sans cesse par des dialogues commentant l'image, tout ça nous éloignant trop souvent de l'immense beauté visuelle du film. Car telle sa parade carnavalesque délirante matérialisant la somme de nos rêves, cette sarabande joyeuse, généreuse, protéiforme, qui ouvre et ferme le film, Paprika dévoile une incroyable inventivité visuelle. Malgré cela et le génie de Kon, toute la prétention théorique dominante amenuise ce désir de cinéma plus direct, émotionnel, intuitif, sensible, dans lequel on se perd pour peupler notre imaginaire. L'étude des dichotomies entre rêve et réalité se révélant, de plus, approximative sur le fond (confusion entre inconscient et fantasme ou désir alors qu'on parle du rêve au figuré). Si le message est clair, malgré ces libertés scientifiques (il faut maintenir la fiction dans un espace délimité où elle fait sens), on regrette néanmoins que cette dernière oeuvre adulte de Kon - qui souhaite désormais s'orienter sur des films pour enfants - mélange ce qu'il a tourné de plus beau, inventif, parfois complexe, mais aussi de plus démonstratif, pédagogique, théorisant et un peu froid... presque ennuyeux.Paprika
Réalisé par Satoshi Kon
Avec Megumi Hayashibara, Torû Furuya, Kôichi Yamadera
Japon, 2005 - 1h30[Illustrations : © Rezo Films]
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Paprika