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Est-ce la nature de l’histoire imaginée par Dennis Lehane, l’intelligence de la mise en scène de Scorsese ou l’instinct de Leonardo DiCaprio ? Le résultat est là : chaque scène comporte plusieurs niveaux d’interprétation qui varient selon le point de vue. C’est d’ailleurs la clé de cette enquête que raconte à la première personne le policier incarné avec la fièvre nécessaire par DiCaprio. Scorsese se délecte en recréant les années 50, se référant aux films qui ont nourri sa cinéphilie pour les sublimer en un puzzle sensoriel vertigineux. En dehors de DiCaprio, qui a remplacé De Niro en tant que soliste préféré de Scorsese et qui trouve ici l’un de ses rôles les plus ajustés, le cinéaste a offert à une dizaine d’interprètes l’occasion d’exceller, même si certains n’apparaissent que dans une scène.
Toutes les critiques de Shutter Island
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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(...) le plaisir ne naît pas uniquement de la manipulation dont est victime le spectateur. Le scénario repose sur un climat tendu entre le suspense d'une enquête policière , l'angoisse liée au lieu même, (...) et le mystère psychologique qui s'épaissit (...).
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Une fois de plus sa collaboration avec Leonardo DiCaprio, grand parmi les grands dans un rôle ardu, s'avère des plus précieuses. Petit bémol : mieux vaut ne pas avoir lu le roman pour apprécier le suspense et se laisser pleinement égarer dans ce labyrinthe vertigineux.
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Le cinéma de Martin Scorsese va mieux.Pas encore dans la forme éclatante de Raging Bull, Le Temps de l’innocence ou Casino, mais le convalescent semble présentable depuis les solides Aviator et Les Infiltrés, films supérieurs à des monuments d’ennui comme Kundun ou des parangons de lourdeur comme A tombeau ouvert ou Gangs of New York. Adapté d’un best-seller de Dennis Lehane, Shutter Island traîne quelques scories et autres boursouflures formelles, mais le film demeure passionnant, complexe, riche de différents niveaux de lecture. Après le retour en mode mineur et indé de Coppola avec Tetro, la génération dorée des Italo-Américains du “nouvel Hollywood” prouve son endurance et sa longévité.(...) Teddy Daniels, c’est Leonardo DiCaprio, qui semble avoir définitivement remplacé Robert De Niro dans le Scorseseland. Physique, intense, subtil, jouant avec virtuosité de toutes les parties de son corps et du moindre centimètre carré de son visage, DiCaprio s’affirme comme un immense acteur américain et n’a plus grand-chose à voir avec le gosse prépubère de Titanic.
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Afin de semer le doute, Scorsese parsème le récit de « Mcguffin » (fausses pistes théorisées par Hitchcock), alterne sans distinction flashbacks et cauchemars, tandis que le fil du récit « réel » progresse et se resserre en étau, se nouant selon une logique conspirationniste. Sous l'emprise d'une angoisse kafkaïenne, DiCaprio évolue dans un constant halo de lumière, en contraste avec la noirceur de l'île, la stylisation de l'image faisant partie intégrante de ce film-cerveau. Mais, référencée et prévisible jusqu'à son twist final, la part d'investigation policière de Shutter Island peine à convaincre, souffrant d'une part de la facticité trop saillante de son esthétique-hommage au Hollywood des 1940's et par suite, d'un cruel manque d'incarnation de ses personnages - et ce malgré d'excellentes prestations de DiCaprio, Mark Ruffalo et Ben Kingsley.
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Le résultat est que, chez Scorsese, tout est toujours de l'ordre du visible, tout se voit, et souvent, tout se voit trop. De ce point de vue, comme hommage à Val Lewton, Shutter island est un contresens total - Scorsese s'y révèle, tout bonnement, incapable de filmer l'invisible. Et c'est dommage parce qu'il y a dans le film de vraies belles intuitions de mise en scène, une façon par exemple de s'emparer du décor (l'exploration des lieux par le marshall, parfois redoutablement efficace), ou de s'appuyer idéalement sur le jeu de Di Caprio, qui pourrait laisser imaginer, par endroit, un grand film. Mais tout ce que la mise en scène dit bien une première fois, il faut toujours qu'une image, une bête image (le pompon : la parenthèse Dachau, ridicule et limite obscène ; certains des rêves éveillés de Di Caprio, même si leur côté grotesque ne manque pas tout à fait d'intérêt) le redise, mal, une seconde fois. Cette tendance à la bouffissure (pas neuve chez Scorsese) donne parfois un charme bizarre à Shutter island, film obèse et quand même aimable, qu'on aimerait mettre à la diète pour en trouver la version souple et idéale. A l'évidence, Scorsese a tourné là son gros film malade.
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Scorsese ménage le suspense jusqu’au bout, multipliant les rebondissements et utilisant les codes du film d’horreur. D’où plusieurs scènes assez angoissantes. Les acteurs sont tous remarquables.
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Manipulant son agent, au stoïcisme vite ébranlé, comme le spectateur, sujet aux mêmes bouleversements psychologiques que son protagoniste, le réalisateur des Inflitrés nous amène à des volte-face spectaculaires, à de nombreuses reprises, nous bousculant au gré d’un scénario ténébreux signé par Laeta Kalogridis (Night Watch, Pathfinder) qui réserve moult surprises, et pour une fois des rebondissements psychologiques crédibles et intelligents. Avec Shutter Island, Scorsese joue avec les vrais visages de la démence, ébranlant toutes nos croyances, rappelant à nos mémoires les plaies les plus éprouvantes que l’humanité ne peut guérir.
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Leonardo DiCaprio, de toutes les scènes ou presque, rend intense son personnage qui passe de la toute-puissance au doute absolu. Et Martin Scorsese se montre en très grande forme dans sa relecture du cinéma de genre. Mais les scènes les plus fortes sont les plus oniriques : images insensées de cadavres pris dans les glaces, cauchemars où le policier revoit sa femme mourir dans un incendie. Ces scènes, par leur beauté même, provoquent le malaise. Le film, moins horrifique que le livre, se révèle aussi plus anxiogène. Le ton est donné dès la première image, dès la première note de contrebasse, caverneuse et brutale.
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(...) Martin Scorsese choisit de nous embarquer en enfer au fil d'une intrigue terrifiante où il est question de culpabilité et de paranoïa. Il le fait brillamment mais s'enlise dans un chaos psychologique qui alourdit le propos et frise la grandiloquence.
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Scorsese, fils spirituel de Powell, a lu Lehane en voyant ce qu'il pouvait en tirer de Phantom Lignt, lui a redonné de l'ampleur, du delirium et des ciels d'orage à tomber. Un crépuscule bleu noir. Mais il reste encore la façon dont Lehane a combiné son récit, et le film ne gagne rien à le suivre. C'est bien la photo de Robert Richardson qui sauve Scorsese des pièges de l'adaptation.
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(...) en choisissant d'être fidèle au roman, Scorsese se condamne à tout expliquer, à réduire les zones d'ombres au minimum, ce qui tient du paradoxe pour une intrigue conçue comme un labyrinthe. Et il faudra tout le charisme de Ben Kingsley ou de Mark Ruffalo, dans les peaux respectives du psychiatre et du coéquipier, pour faire vivre ces instants d'explications nécessaires. Reste enfin le style de Scorsese, qui convoque l'eau et le feu pour illustrer les contradictions intérieures de ses protagonistes et confère à sa caméra une brutalité granitique conforme à celle de l'île. Culpabilité, rédemption, paranoïa... tous les diables sont de la fête.
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par Yann Lebecque
La beauté des images et la force de l'interprétation ne peuvent rien pour lutter contre l'assoupissement né d'un ennui diffus, de l'acquisition précoce de la certitude quant à la conclusion de tout cela et du grotesque des scènes oniriques qui ne parviennent jamais à créer l'angoisse et le malaise comme les phrases de Lehane le faisaient avec un brio certain.
Ce film de genre, réalisé par un grand maître et interprété par des pointures, commence par tenir ses promesses, avant de nous égarer dans un labyrinthe onirico-fantastico-psychologique. Bref, un très long thriller horrifique qui finit par trop tirer sur la corde de la camisole.
Une atmosphère pesante tombe sur les épaules du spectateur dès l'arrivée des deux héros dans un décor cauchemardesque. Scorsese s'amuse à promener ses héros sous l'orage et dans des paysages dont les transparences volontairement artificielles rappellent Alfred Hitchcock ou Otto Preminger. Ce délire d'un cinéaste cinéphile souffre des défauts de ses qualités: une certaine froideur habite son exercice de style virtuose. Plus proche des Nerfs à vif que des Infiltrés, Shutter Island est sans aucun doute une oeuvre mineure pour son auteur, ce qui ne l'empêche pas d'être plus excitante que bien des long métrages visibles sur nos écrans.
Pour [tout] savoir, cher futur spectateur, il faudra évidemment voir ce film, en évitant les éventuelles rumeurs qui pourraient vous en dissuader. Par exemple l'invraisemblance et le kitsch du film. Ou bien son renversement final qui se joue du spectateur, procédé réputé indigne du grand art. Ces réserves peuvent s'entendre. Shutter Island n'en est pas moins un film palpitant, qui vous tient de bout en bout, malgré l'ironie baroque qui le parcourt.
Peu de malaises ici, peu de montées d'adrénaline malgré des thèmes forts comme l'infanticide, la Shoah et tout ce qui a trait à la déraison humaine. La même musique, ouvrant le bal maudit, le clôt également devant l'effarement de mon voisin, qui lui n'as pas vu le temps passer.
Si l’atmosphère inquiétante de Shutter Island est bien rendue, le film se dégonfle en même temps que le mystère glisse vers le personnage de Teddy Daniels, tourmenté par de vieux démons. La faute à une mise en scène trop appuyée qui vire au pompier dans les multiples scènes de flash-backs. Comme écrasé par le poids de la reconstitution des années 1950, de son intrigue à twist façon Night Shyamalan et des fantômes perchés sur son épaule (Hitchcock, Kubrick), le cinéaste reste en surface du roman de Lehane. Scorsese, reviens !