Première
En 2021, l’industrie musicale retrouvait ses sommets financiers de 1999. Depuis, elle les dépasse sans effort. Grâce au streaming, les chansons sont devenues des produits spéculatifs - et rien de plus rentable qu’un biopic pour doper les écoutes d’un catalogue. C’est dans ce contexte que naît le film Deliver Me From Nowhere, consacré à l’enregistrement de Nebraska, l’album le plus iconoclaste de Bruce Springsteen. Une oeuvre très personnelle, hantée, faite en dépit des attentes du public et de la maison de disque. Le Boss rêvait sans doute d’un film d’auteur intime et fauché, à l’image de son disque. Et Scott Cooper réalisateur de Crazy Heart (l’un des trois meilleurs films sur la musique country) semblait l’homme idéal pour traduire cette austérité poétique. Le casting avait également de quoi séduire : Jeremy Allen White en Springsteen taiseux, Jeremy Strong en manager bienveillant. Sauf que rien à faire. Malgré sa sincère déclaration d’amour à l’oeuvre originelle - comme on peut le voir dans une séquence héroïque sur le mastering du disque - Deliver Me From Nowhere réussit rarement à dépasser les clichés du prestige drama contemporain : romance banale, scènes d’émotion ponctuées de musique insipide et flash-back en noir et blanc sur l’enfance traumatique… Cela donne au mieux une oeuvre sympathique, mais qui ne retrouve jamais la fièvre ou la grâce du disque. La plus grande vertu du film est de donner envie, une fois quitté la salle, de rentrer chez soi pour écouter Nebraska.
Thomas E. Florin