- Fluctuat
Rencontre au sommet entre le disco et la dictature de Pinochet, Tony Manero s'affirme surtout comme le portrait d'un monomaniaque. Terrifiant et inspiré, le second long-métrage de Pablo Larrain est une franche réussite.Le pitch de Tony Manero (sous la dictature de Pinochet, un Chilien défavorisé nourrit une passion obsessionnelle pour le personnage de John Travolta dans La Fièvre du samedi soir), fleure bon les paillettes et le bourdonnement des tubes disco. Tiendrait-on là le Podium sud-américain ? La première scène refroidit nos ardeurs. Raùl se rend devant un studio de télévision pour s'inscrire à un concours de sosies et entraperçoit l'agitation du show-biz ; mais il s'est trompé de semaine et devra revenir. Pablo Larrain annonce ainsi d'emblée le drame qui habite son personnage : celui du décalage permanent. En prenant pour modèle le jeune Travolta, Raùl, 52 ans, nie son propre vieillissement et se trouve déphasé dans son corps. Son affection pour les chorégraphies de La Fièvre du samedi soir se vit sur le mode de la solitude, loin de toute euphorie. Il semble par ailleurs insensible à la situation politique du Chili de 1979, contribuant même à semer la mort (il lui arrive de dépouiller et tuer des compatriotes). Toujours à contretemps, Raùl s'impose comme un des personnages les plus antipathiques que puisse produire le cinéma contemporain. Lâche, égoïste, machiste, faisant régner la terreur dans sa petite troupe de danseurs, notre homme n'en est pas moins charismatique. Entre la froideur du caractère de Raùl et le succès qu'il connaît auprès des femmes, un décalage se crée à nouveau. Pablo Larrain donne à voir un gouffre interprétatif et des situations de profond dérèglement, qu'il nous laisse interpréter comme des effets de la dictature d'Augusto Pinochet.La grande idée de Tony Manero consiste à greffer une mise en scène virevoltante sur ce morne environnement historique. Caméra portée, décadrages et flous esthétiques produisent des séquences d'une redoutable intensité. On pense entre autres à cette invraisemblable soirée durant laquelle Raùl fait des avances à la fille de sa « compagne régulière », sous les yeux de cette dernière. Insistant lourdement, il parviendra à ses fins, devant un public médusé par tant d'insolence. Psychopathe asocial et tyran pathétique, Raùl n'est que l'effrayant produit d'un régime totalitaire qui étouffe tout.Avec son costume de scène d'un blanc immaculé, le personnage aurait pu symboliser un ange qui cherche à rester pur face au tourbillon de la violence politique. Mais il finira par tacher la tenue d'un concurrent de la plus prosaïque des manières; l'âme de Raùl s'est définitivement salie.Brillant exercice de style, Tony Manero présente toutes les apparences du cauchemar. Dessinant l'envers désespéré du rêve américain, Pablo Larrain trouve avec son renversant acteur Alfredo Castro une tonalité qui n'est justement pas sans rappeler le cinéma US des années 1970 et sa façon clinquante de filmer des héros marginaux. Brutale et mélancolique, cette rencontre entre Travolta et Pinochet distille un furieux parfum scorsesien.Tony ManeroUn film de Pablo LarrainAvec Alfredo Castro, Amparo Noguera, Paola LattusSortie en salles le 11 février 2009 [mediabox id_media="84707" align="null" width="500" height="333"][/mediabox]Illus. © Fabula Productions - Exprimez-vous sur le forum cinéma- Lire les fils festival de cannes, quinzaine des réalisateurs sur le blog cinéma
Le JDDpar Jean-Luc BertetLa violence froide jusqu'à l'assassinat, le rêve puéril et hors de portée, le machisme impuissant, c'est la société chilienne contrainte par la dictature qui fait circuler sa violence et sa psychotique impossibilité à penser l'avenir.
Téléramapar Pierre MuratLe cinéaste ne quitte pas des yeux son personnage au sang froid, qu'il se teigne les cheveux, se dérobe aux caresses de femmes énamourées ou se débarrasse des obstacles qui se dressent sur sa route. Raùl est Tony Manero comme Pinochet est dictateur, avec foi et sans loi...